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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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comme barrière salvatrice, et que la France atteignit en 1795.
    Les Français eurent alors l’impression de rentrer chez eux ; la nature elle-même prenait parti pour nous ; l’Escaut appuyait Saint-Just à Fleurus et, pour prolonger son séjour chez nous, la Meuse accumulait les méandres comme des procédures dilatoires. Mais le feu de la gloire française de la Révolution, né à Jemmapes et à Fleurus, s’éteignit dans les mêmes plaines belges vingt ans plus tard, à Ligny et à Waterloo.
    La Belgique est la RDA de la France. La plaie jamais cicatrisée de Waterloo comme le mur de Berlin fut celle de l’Allemagne vaincue. Chaque fois, les « Alliés » punirent le perdant, et se protégèrent d’un retour de son « expansionnisme ».
    Les Anglais s’y prirent à deux fois. En 1815, ils mirent les Belges sous la coupe des Hollandais. Avec le grand-duché de Luxembourg, ils inventèrent alors le futur Bénélux. Ils construisirent le long de la frontière des Pays-Bas une ligne de forteresses. Ce mur appelé « barrière », les Anglais avaient déjà tenté de l’édifier un siècle plus tôt contre Louis XIV. Talleyrand céda, mais trouva des raisons d’espérer : « L’espèce d’amitié protectrice que l’Angleterre croit établir entre elle et le nouvel État me semble être pour longtemps encore un rêve politique. Un royaume composé d’un pays de commerce (la Hollande) et d’un pays de fabriques (la Belgique) doit devenir un rival de l’Angleterre ou être annulé par elle et par conséquent être mécontent. »
    Le Diable boiteux avait vu juste. En 1830, près d’un mois après la révolution parisienne, des émeutes éclatèrent à la suite de la représentation théâtrale de La Muette de Portici, un drame lyrique plutôt médiocre de Daniel François Esprit Auber, et son célèbre duo pour ténor et baryton, « Amour sacré de la patrie ». On se révolta dans les rues de Liège aux cris de : « Vive la France ! » Charles Rogier, un Français de Saint-Quentin, prit la tête du soulèvement. La Marseillaise fut entonnée, le drapeau tricolore hissé. Bruxelles s’embrasait. Le 25 août 1830, on arbora aux fenêtres de la mairie de Bruxelles les trois couleurs. Les Anglais menacèrent discrètement la France. À peine assis sur le trône de son cousin enfui en Angleterre, Louis-Philippe envoyait Talleyrand négocier afin d’éviter une nouvelle guerre européenne. Déjà, l’armée française intervenait discrètement en Belgique pour protéger les insurgés contre les troupes hollandaises ; mais – et cela changeait tout – avec l’accord de l’Angleterre. « Talley » s’installait à Londres dont il devint la coqueluche. Il bricola une Belgique de bric-wallons et de broc-flamands, à laquelle il ne croira jamais : « Il n’y a pas de Belges, il y a des Wallons et des Flamands », dira-t-il jusqu’à la fin de ses jours. Il savait de quoi il parlait. Wallons et Flamands n’avaient jamais connu de destin commun sauf en deux périodes particulières de l’histoire : sous l’empire de Charlemagne et lors de leur intégration à la France, de 1795 à 1815.
    Baudelaire ne dirait pas autre chose quelques années plus tard : « Il n’y a pas de peuple belge, proprement dit. Il y a des races flamandes et wallonnes, et il y a des villes ennemies. Voyez Anvers. La Belgique, arlequin diplomatique. »
    La verve caustique de Pauvre Belgique ! serait aujourd’hui condamnée par les bonnes âmes du politiquement correct, mais elle montre que la « question belge » est aussi vieille que la Belgique.
    « L’annexion est un thème de conversation belge. C’est le premier mot que j’aie entendu ici, il y a deux ans. À force d’en parler, ils ont contraint nos perroquets du journalisme français à répéter le mot. Une grande partie de la Belgique la désire. Mais c’est une mauvaise raison. Il faudrait d’abord que la France y consentît. La Belgique est un enfant déguenillé et morveux qui saute au cou d’un beau monsieur, et qui dit : "Adoptez-moi, soyez mon père !" Il faut que le monsieur y consente. Je suis contre l’annexion. Il y a déjà assez de sots en France, sans compter tous nos anciens annexés, Bordelais, Alsaciens, ou autres. Mais je ne serais pas l’ennemi d’une invasion et d’une razzia, à la manière antique, à la manière d’Attila. Tout ce qui est beau pourrait être porté au Louvre. Tout cela nous appartient plus légitimement qu’à la

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