Même les oiseaux se sont tus
des tables et vit la cousine agiter une main. D’Anna, il ne vit que le dos. Elle ne daigna pas se retourner. Il demeura planté au beau milieu du wagon, se demandant encore ce qu’il devait faire. Et puis il le sut. À son tour, il fit un signe de reconnaissance à la cousine et se choisit une place à une autre table, leur tournant le dos pour être certain de ne pas consacrer tout son repas à observer leurs faits et gestes. À son grand bonheur, il s’était attablé avec des gens qui, comme lui, aimaient rire, et la moitié du repas fut un grand éclat. Au café, Anna et sa cousine passèrent à côté de lui, le gratifiant d’un aimable sourire. Jerzy fit de même et trempa ensuite ses lèvres dans le café. Il retint un cri d’horreur, se contentant de cligner des yeux et d’avaler goutte à goutte une gorgée bouillante. L’incident n’échappa pas à Anna qui sourit encore davantage de sa canine croche.
– Tiens, j’ai hâte de voir quel effet peut avoir l’eau bouillante sur un cerveau polonais.
Jerzy revint au wagon-lit et s’assit à côté des cousines, pestant contre le hasard qui lui avait assigné cette place. Anna était absorbée dans la lecture d’un magazine dont la une était consacrée à une certaine Barbara Ann Scott. Jerzy commença à échanger quelques mots de politesse avec la cousine. Même s’il l’avait voulu, il aurait été incapable de parler de son expérience passée, car il savait qu’Anna ne perdait pas un mot et elle lui avait déjà fait comprendre que cela ne l’intéressait en rien. Il déplora le fait que la nuit noire avait caché tout le paysage même si la neige était à peu près tout ce qu’il aurait pu voir. Le
porter
vint les aviser qu’il devait faire les lits. Jerzy se glissa sur la banquette de velours et s’approcha péniblement de la fenêtre. La cousine annonça son intention d’aller à
l’observation car
. Quant à Anna, elle ne dit pas un mot mais, le nez maintenant enfoui dans un livre, elle s’assit devant Jerzy, ne prenant même pas la peine de lever les yeux en s’excusant lorsqu’elle lui écrasa un pied.
Jerzy demeura assis, l’air maussade, les yeux rivés sur le noir de la fenêtre, observant le reflet du
porter
qui sortit sa grosse clé et fit descendre la couchette du haut. Il le vit ensuite laisser tomber des rideaux lourds et bruns, retenus par des boutons-pression, chantonnant et sifflant sans interruption.
–
My mamma done tol’me... When I was in kneepants... My mamma done tol’me... Hon!... a woman’ll sweet talk... and give ya the big eye... but when the sweet talkin’s done...
Jerzy l’observait encore lorsque, les deux pieds sur les accoudoirs qui encadraient maintenant un lit fait dessièges et des dossiers tirés des banquettes, il étendit les draps puis les couvertures du lit du haut.
– ...
a woman’s a two face... a worrisome thing who’ll leave ya t’sing the blues in the night...
Le
porter
tapota l’oreiller avant de le mettre en place et d’allumer une petite lampe de chevet. Jerzy le regarda ensuite descendre et étendre un matelas mousse sur ce qui avait été les banquettes, le recouvrant de draps frais lavés et de couvertures beige pâle. Là aussi, après avoir tiré le store, il alluma la petite lampe de chevet. Il chantonnait toujours l’air que Jerzy ne connaissait pas.
–
... hear the train a callin’ whoo-ee... hear dat lonesome whistle blowin’...
Le
porter
appuya sur les derniers boutons-pression avant de refermer le cocon qui allait devenir le lit d’Anna et de fixer une échelle pour que sa cousine puisse monter dans le sien.
– ...
a whoo-ee-duh-whoo-ee... Ol’ click-e-ty clack’s a echoin’ back the blues... in the night...
Jerzy et Anna furent invités à changer de place de nouveau. Anna partit retrouver sa cousine tandis que Jerzy resta dans le wagon à regarder le
porter
recommencer son rituel de la soirée, faisant pénétrer sa grosse clé dans le trou d’une autre serrure. Sa mélopée ne cessait jamais et Jerzy, mentalement, commença à chantonner avec lui. Le
porter
, voyant qu’il restait assis, le visage résolument collé à la fenêtre, décida de ne pas le déranger. Il s’en alla à l’autre bout du couloir, ne révélant sa présence que par ses chansons et ses sifflements. La cousine d’Anna revint en bâillant et annonça à Jerzy qu’elle allait dormir. Elle se réfugia derrière les rideaux et en ressortit en tenant entre soncoude
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