Même les oiseaux se sont tus
langue tant aimée, tout en chuintements et chuchotements qui lui caressaient l’âme. Anna, constata-t-il, la colorait d’un soupçon d’intonations anglaises. Il continua donc la conversation dans cette langue.
La cousine était revenue et il les avait laissées toutes les deux, préférant aller dans
l’observation car
examiner les têtes des autres voyageurs. Il repensa aux reproches qu’il venait de faire à cette fille qui n’avait eu que deux torts. Le premier, celui d’avoir été dans lemême train que lui, et le second – le pire, pensa-t-il –, celui de n’avoir posé aucune question à son sujet. Elle ne lui avait même pas demandé pour quelle raison il était venu au Canada. Elle était d’une discrétion absolument irritante, presque aussi choquante que celle des Anglaises. Une réserve qui, il fallut qu’il se l’avoue, frôlait l’indifférence. Il regarda défiler le paysage pendant plus d’une heure, le trouvant peut-être un peu trop gris. Le ciel se chargea de le métamorphoser en expédiant des tonnes de neige qui tombèrent en trombe sur le train et dans les champs, blanchissant tout à une vitesse folle. Jerzy en eut le cœur crevé. Jamais, depuis la Russie, il n’avait vu autant de neige. Il eut l’impression que la neige lui enlevait toute liberté. Il en frissonna presque d’horreur. Il ne pourrait jamais aimer ce pays s’il s’y sentait prisonnier. Une tempête comme celle-ci empêchait certainement les gens de circuler. Jerzy avait les yeux rivés à la fenêtre, souhaitant pouvoir se débiner devant cet enfer blanc, quand Anna, assise devant lui dans un gros fauteuil de cuir noir fixé au plancher, le sortit de sa torpeur.
– Je n’ai pas aimé vos propos.
Il avait été si hypnotisé par ses souvenirs du camp de travail qu’il ne l’avait même pas vue. Il la regarda donc froidement, regrettant tout à coup Pamela qui n’aurait jamais osé rallumer sa mauvaise humeur.
– Je n’ai pas aimé les vôtres non plus.
Anna haussa les épaules et lui sourit. Jerzy trouva tout à coup sa canine détestable et il tourna lentement la tête vers la fenêtre.
– Cette tempête est absolument magnifique. Quand tout est blanchi en moins d’une heure, comme c’estle cas, on sait qu’on va avoir au moins un pied de neige.
Si Anna voulait se rendre intéressante, elle avait mal choisi son sujet. Jerzy la dévisagea, un léger dégoût ourlant sa lèvre supérieure.
– Je déteste la neige.
Anna avait éclaté de rire. Cette fois, sa canine l’agaça profondément. En d’autres temps, il aurait trouvé cela charmant, mais aujourd’hui il pensa que c’était franchement laid. Il eut soudainement hâte que le train arrive à Montréal pour qu’on le scinde en deux, expédiant une partie des wagons à Toronto et l’autre à Vancouver.
– Est-ce que vous allez vous joindre à nous pour le souper?
Jerzy ne répondit pas. Elle l’avait regardé, attendant une réponse.
– En fait, c’est ma cousine qui a insisté pour que je vous le demande. Moi, je préfère attendre qu’on m’invite.
Il la regarda en clignant des yeux lentement. Elle était vraiment intolérable. Il eut peur, tout à coup, de ne pas avoir d’affinités avec les Canadiennes. Si une quasi-Polonaise était irritante, il pouvait s’attendre à tout des autres. Il se réfugia de nouveau dans son mutisme et Anna se leva. Elle allait partir lorsque le train attaqua une courbe, ce qui la fit trébucher. Jerzy ne fit rien pour la retenir et elle dut s’appuyer sur son épaule pour ne pas tomber.
– Franchement, vous auriez pu m’aider.
– Vous vous êtes fort bien débrouillée sans moi.
– Quand vous aurez appris la politesse, vous aurez commencé à avoir un peu de bon sens. Parce qu’ici,au Canada, on trouve que les Polonais sont ivrognes, batailleurs, soupe au lait, arrogants et fiers. Beaucoup trop fiers.
Jerzy la dévisagea, avant de la regarder lui frotter l’épaule, là où elle avait été forcée de s’appuyer.
– On ne sait jamais, j’aurais pu vous salir.
– Est-ce que votre charmante description s’applique aussi aux Polonaises?
Sans un mot, elle tourna les talons et rejoignit son wagon.
Jerzy entra dans le wagon-restaurant en se demandant encore s’il allait ou non exposer à d’autres douches froides sa fierté d’être polonais. Cette Anna avait vraiment tout renié de ses origines et il en était extrêmement mal à son aise. Il fit des yeux le tour
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