Même les oiseaux se sont tus
doublement doux à entendre. Doux parce qu’il le rapprochait d’Anna, faisant d’elle une espèce de complice, et encore plus doux parce qu’il avait été dit en polonais.
Jerzy regardait maintenant cet Ontario d’un œil qui se voulait intéressé, mais ses pensées étaient demeurées accrochées à la gare de Montréal, là où on avait séparé le train. Ils étaient tous les trois montés à la salle d’attente et la cousine les avait quittés quelques minutes. Elle était allée saluer un groupe de Polonais venus accueillir des jeunes, seuls comme elle l’aurait été si Anna n’avait pas eu la gentillesse de venir à sa rencontre. Jerzy avait été tenté de la suivre mais l’envie d’être avec Anna, ne fût-ce que quelques minutes, l’emporta sur celle de rencontrer des Polonais établis à Montréal. Aussi est-ce seule que la cousine s’était dirigée vers un homme rondelet, rougeaud et souriant qui avait jeté un regard sympathique au violon que tenait Jerzy.
Anna et Jerzy n’avaient plus retrouvé le ton et l’intimité de la veille. La canine détestable d’Anna avait presque repoussé, mais Jerzy avait rapidement appris à en rire, au grand désespoir d’Anna qui essayait de mettre une distance entre elle et lui. Jerzy vit dans cet acharnement une gentille façon d’avouer qu’elle n’appréciait pas nécessairement le fait que leurs chemins se séparent.
– Où pensez-vous aller, en Ontario?
– D’abord à Toronto, ensuite à St. Catharines.
– Ça ne sera pas facile de trouver du travail chez un cultivateur au mois de décembre.
– On ne sait jamais...
La cousine vint les retrouver, une larme d’émotion coincée dans les cils.
– Ces gens sont extraordinaires.
Ils pénétrèrent tous les trois dans un restaurant pour prendre un café.
– Qu’allez-vous faire pendant la journée?
– Visiter Montréal.
Anna avait répondu d’un ton qu’elle voulait agacé. La feinte était si drôle que Jerzy s’étouffa de rire avec sa gorgée, ce qui les amusa tous. Ils marchèrent ensuite un peu rue Sainte-Catherine avant que Jerzy ne les quitte pour retourner à la gare afin de prendre le train de Toronto. La cousine se concentra devant une vitrine décorée pour Noël, avec des bonshommes mécaniques, un village miniature, un train, des fées et des centaines de présents. Jerzy et Anna s’éloignèrent un peu. Ils ne parlèrent pas, craignant de dire des choses qui pouvaient disparaître dès le lendemain. Plus le silence s’étirait, plus leur inconfort grandissait. Ce fut Anna qui réussit à parler.
– Vous connaissez mon adresse. Si jamais vous avez des problèmes...
– Je n’aurai pas de problèmes.
Anna fit un petit signe de tête comme quoi elle comprenait ce qu’il essayait de lui dire.
– Par contre, si je vois que l’Ontario et moi nous ne faisons pas bon ménage, je pourrais peut-être traîner ma jambe ailleurs.
Anna sourit de plaisir.
– Est-ce que je peux vous écrire même si je n’ai pas de problèmes? J’aurai peut-être des difficultés. Mais les problèmes, je crois les avoir déjà eus.
Anna fit un signe d’assentiment. Ils revinrent vers la cousine, toujours en fascination ou en état de choc – Jerzy ne le savait pas – devant la vitrine. Jerzy se plaça à ses côtés pour regarder les pantins s’animer. Il leur trouva un air de famille, avec des jambes raides, à peine articulées, mais s’abstint d’en parler.Il se concentra sur le trajet sans fin que faisait le petit train, espérant que son train à lui s’arrêterait quelque part. Il se décida enfin à partir, embrassant gentiment la cousine et serrant la main d’Anna.
– Passez de joyeuses fêtes, Anna.
– Vous aussi, Jerzy.
La silhouette de Toronto se dessinait au loin et Jerzy n’avait d’yeux que pour l’immensité du lac Ontario et de pensées que pour Anna. Il s’en voulait amèrement de ne pas avoir tiré d’elle plus qu’une ombre de regret de le voir partir. Il s’en voulait aussi de n’avoir rien trouvé d’intelligent ou de percutant à lui dire. «Passez de joyeuses fêtes.» Quelle formule édulcorée! Il aurait pu ajouter une tendresse, comme «je penserai à vous», ou un espoir, comme «à bientôt peut-être». Non. Il n’avait rien dit de beau. Il avait été balourd et malhabile.
La ville lui apparaissait maintenant de plus en plus grande et il sentit sa poitrine se rétrécir d’inconfort devant cette immensité de béton. Il
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