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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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avait bien connu Londres, mais une Londres blessée. Toronto, soudainement, lui sembla hostile et affolant. Le train se glissa dans la gare et Jerzy se demanda où il allait dormir cette nuit. Déjà le soleil bâillait et Jerzy compta son argent. Il ne croyait pas pouvoir se payer l’hôtel.
    Jerzy sortit de la gare, regarda à droite et à gauche comme s’il avait su où se diriger. En fait, il se demandait s’il préférait le ciel de droite ou celui de gauche. Il opta pour la droite et commença à marcher, n’ayant pour tout bagage qu’une valise et un étui à violon. Il erra pendant plus d’une heure avant de se ressaisir et de s’informer sur les endroits où il pourraitnicher. Après avoir marché au froid qui ne cessait de le narguer, il arriva au YMCA, prit une douche et tomba sur un lit un peu moins confortable que celui du train mais infiniment supérieur aux paillasses de guerre.
    Le lendemain matin, il prit un petit déjeuner qu’il trouva fort semblable à ceux que lui préparait Pamela, et, une fois l’estomac rempli, sortit découvrir cette ville d’Amérique, n’apportant avec lui que le violon d’Élisabeth. Il marcha longuement, chaque pas le faisant souffrir davantage. L’essence de sa vie venait de lui empester l’âme. Il était seul, éminemment seul, dans des rues aux trottoirs mortellement glissants avec personne pour se soucier de son bien-être, personne non plus pour reconnaître son existence ou même pour rechercher sa présence. La rue lui apparut douloureusement joyeuse, avec ses saint Nicolas à longue barbe qui sonnaient des clochettes pour demander un peu d’argent. Il fut finalement attiré par une vendeuse de sapins qui criait aussi fort qu’un camelot londonien annonçant la fin de la guerre. Il s’approcha et tourna autour des arbres, tâtant les épines, en arrachant quelques-unes pour les humer avant de les mâchouiller, comme il l’avait fait en Russie.
    –
Do you want a tree?
    Jerzy fut tellement surpris d’être ainsi pris en flagrant délit qu’il ne sut quelle contenance adopter.
    – Non, je regardais.
    – Vous voulez dire que vous goûtiez.
    Jerzy cessa de mâchouiller et sourit. La femme emmitouflée et édentée qui se tenait devant lui avait des petits yeux rieurs et une fierté belle à voir. Elle fixait l’étui à violon.
    – Vous en jouez, de votre instrument?
    – Parfois.
    Jerzy regarda les quelques rares flocons qui tombaient, pensant tristement que même dans le sud de cette province, où on lui avait assuré que le climat était clément, la neige était au rendez-vous.
    – On m’a dit qu’il y avait peu de neige ici.
    La vieille dame haussa les épaules pour lui faire comprendre qu’elle n’avait rien à voir avec les chutes de neige et se dirigea vers un client qui ne cessait de secouer tous les sapins pour mieux en voir la forme. Elle cria encore, assez fort pour attirer l’attention du client et lui ordonner sèchement de ne pas toucher aux branches.
    – C’est plus qu’un arbre, ça, monsieur. Quand c’est gelé, c’est fragile comme du cristal.
    Jerzy la trouva amusante. Il la suivit discrètement et écouta la conversation qu’elle tenait. Tantôt elle vantait la symétrie des branches et la hauteur de l’arbre, tantôt elle parlait de l’odeur d’un arbre récemment abattu ou de la sécurité par rapport au feu. Jerzy mâchouillait encore ses aiguilles. Il passa l’index sur un tronc et l’enduit de résine. Il téta le bout de son doigt comme un enfant ravi colle sa langue sur une sucette. Le client avait disparu sans acheter et la vieille dame replaça ses arbres en grommelant.
    – C’est rare que je me trompe. J’aurais juré qu’il en voulait un.
    Sans même réfléchir, Jerzy posa son étui sur le capot de la vieille camionnette de la dame et l’aida à replacer les arbres.
    – Ancien militaire?
    Jerzy sourit de nouveau. Cette vieille femme lui faisait penser à la fois à M me Saska et à M me Grabska,mais encore plus vieille que celle qu’il avait revue à Cracovie. Il fit oui de la tête et continua à placer les arbres, prenant garde de ne pas abîmer les branches.
    – J’aime penser que mes arbres vont devenir importants. Ils ont l’air presque morts, mais, avec deux petites lumières et une étoile, ils ressuscitent.
    Jerzy la regarda, étonné. Eût-il été enfant, il aurait pu penser qu’elle était un mélange de sorcière, de fée et d’ange. Il lui sourit encore, replaçant avec

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