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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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précaution le dernier arbre qu’il tenait. Il se réchauffa les doigts et ramassa le violon, prêt à partir.
    – Est-ce que vous cherchez du travail?
    La vieille dame avait posé la question sur le même ton que si elle lui avait offert une tasse de café.
    – Non, pas vraiment. Je vais à St. Catharines travailler dans les vergers de pêches.
    – Dommage pour moi.
    Jerzy était absolument estomaqué. Il avait l’impression qu’elle le suppliait presque. Elle le regarda bien en face et tenta d’aspirer son essoufflement.
    – J’aurais accepté votre aide.
    Du coup, Jerzy n’eut qu’une seule envie, offrir la force de ses bras pour soulager ceux de la vieille dame, qui lui semblaient plus aptes à transporter de légers fagots. Elle désigna en souriant une femme qui tournoyait autour d’un pin, un enfant excité accroché à sa manche. D’un signe de tête, elle demanda à Jerzy de lui répondre. Il sourit, posa son violon sur la banquette avant de la camionnette et s’approcha aussi rapidement qu’il le put de sa première cliente.
    – Le pin est le meilleur choix parce qu’il nécessite moins de décorations. C’est un choix économique quivous permettra d’acheter un présent de plus pour votre enfant.
    Il jeta un coup d’œil en direction de la vieille pour s’assurer qu’il n’avait pas exagéré. La jeune mère le regarda bien en face, sans ciller.
    – J’ai toujours choisi le pin.
    Sans s’occuper de Jerzy, elle attrapa l’arbre d’une poigne solide et se dirigea vers la vieille en souriant.
    – Bonjour, madame Mulligan. Votre fils n’est pas là cette année?
    Jerzy continua de loger au
YMCA
mais il se présentait tôt le matin pour aider M me Mulligan. Il apprit qu’elle était veuve, sut que son fils était malade et entendit ses doléances parce que la Ville avait retiré les derniers chevaux qui tiraient les camions des éboueurs.
    – Si ça continue, les gens de la campagne ne se reconnaîtront pas en ville. Même dans le dépotoir, il va y avoir des camions.
    Elle lui avoua qu’elle aimerait bien qu’il lui joue du violon de temps à autre et qu’elle lui donnerait un salaire raisonnable. Pas extraordinaire, mais raisonnable.
    Le mercredi 24 décembre arriva. Les arbres étaient presque tous vendus et ceux qui restaient semblaient plutôt malingres. Jerzy faisait des pieds et des mains pour les refiler aux retardataires. À vingt et une heures, une neige folle commença à saupoudrer les quelques arbres qui n’avaient pas réussi à décrocher le premier rôle de la nuit de Noël. Jerzy en fut presque triste, pensant au temps qu’ils avaient mis à pousser, à la sœur du bûcheron qui les avait abattus, au chagrin des enfants qui ne les verraient pas.
    – C’est quand même un peu dommage, non?
    – Oui, mais je vais dire à mon fils que nous les avons tous vendus. C’est en les abattant qu’il a attrapé une pneumonie.
    Jerzy ne sut que répondre. Il ramassa les quelques dizaines de carcasses et les empila sans rudesse dans la boîte du camion. La vieille Mulligan, elle, compta et lui remit son dû.
    – Votre fils va voir qu’il reste des arbres.
    – Non, parce que vous venez avec moi et nous allons les porter au dépotoir. Ensuite, vous me jouerez un petit air sur votre violon. Si vous n’avez pas les doigts raides, évidemment.
    Jerzy ne put refuser et il s’assit à côté d’elle. Elle embraya dans un grincement de transmission gelée et ils roulèrent assez longtemps pour que Jerzy s’inquiète de son retour au
YMCA
. M me Mulligan freina enfin en dérapant et s’immobilisa.
    – C’est ici.
    Jerzy sauta à terre et commença à reprendre les sapins un à un. Par respect pour celui qui les avait abattus, il les piqua soigneusement dans la neige plutôt que de les lancer à bout de bras dans ce qui serait devenu une fosse commune. M me Mulligan le regarda faire sans poser de questions, sans s’impatienter. Son travail achevé, Jerzy remonta dans la camionnette.
    – Comme ça, ils vont mourir une deuxième fois, la tête haute.
    Ils s’éloignèrent, laissant derrière eux un faux boisé d’arbres malingres, sentinelles veillant sur des carcasses de glacières, des bidons, des chaises amputées et des ressorts rouillés.

35
    Élisabeth avait revêtu la robe de velours noir offerte par M me Dussault. La robe n’était pas neuve mais Élisabeth ne s’en était pas formalisée, n’ayant jamais eu de robe de velours. Elle était dans la salle

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