Même les oiseaux se sont tus
nouveau et on lui ouvrit enfin. Jan était devant lui, le nez et les yeux tuméfiés. Villeneuve sut que son visage à lui était passé au rouge, la violence de sa colère lui ayant alerté le cœur.
– Pas encore, Jan! Dis-moi que ce n’est pas M. Bergeron qui t’a fait ça.
– Ce n’est pas M. Bergeron qui m’a fait ça.
Villeneuve n’en crut pas un mot. Jan parlait comme s’il avait eu le nez bourré de mèches et la bouche remplie d’éclats de dents. Villeneuve marcha vers son lit et aperçut le sang qui tachait encore un coin de couverture et un vieux coussin qui devait être son oreiller de fortune. Sur le chevet, une vieille boîte de cigares s’ouvrait sur un étonnant bric-à-brac. Voulant détendre l’atmosphère, Villeneuve essaya de blaguer.
– Ta boîte à surprises?
Jan ne répondit pas mais s’approcha lentement du lit. Villeneuve comprit qu’il avait mal au corps.
– Je vous défends de toucher à mes affaires.
Villeneuve tiqua d’étonnement. Si Jan avait le regard lourd de torpeur, il avait retrouvé la force de s’aiguiser la langue. Villeneuve le vit remettre vivement le couvercle de la boîte et la ranger sous son coussin inconfortable. Il s’assit au pied du lit.
– Je suis venu te demander un service, Jan.
– Un service funèbre?
Villeneuve hocha la tête devant le douloureux cynisme de son protégé.
– Tu brûles... Je ne parle pas de l’extrême-onction mais du mariage.
Jan se tut, attendant la suite, certain que Villeneuve, encore une fois, lui compliquerait la vie.
– Je vais bénir un mariage polonais dans exactement trois semaines et j’ai pensé qu’Élisabeth et toi pourriez faire la musique, à l’église. J’ai entendu beaucoup de commentaires sur vos petits récitals de Noël et je me suis dit que vous seriez...
– Je ne veux pas faire ça.
La réponse de Jan avait claqué comme une corde de violon qui vient de se briser. Villeneuve se releva et se dirigea vers une fenêtre. Quelque chose dans la douleur de Jan lui échappait et il ne savait comment la soulager.
– C’est que ce serait assez important. Les mariés aiment la musique et...
– J’ai dit que je ne pouvais pas faire ça.
– Non, tu as dit que tu ne voulais pas...
– Si c’est ce que j’ai dit, ça doit être vrai.
Jan s’avança vers la pompe, versa de l’eau froide dans un bol, y trempa un linge et s’épongea le visage. Villeneuve ferma les yeux, se disant que Jan devait endurer le martyre.
– Pourquoi est-ce que tu te bats toujours, Jan? Jan finit de s’éponger et émit un petit son de dépit.
– Parce que je suis un Polak. C’est connu.
Il retourna vers son lit et s’étendit en soupirant. Villeneuve sortit de la maison, marcha jusqu’à son automobile, y prit une boîte de carton et revint.
– J’ai pensé que tu pourrais peut-être t’organiser pour manger ça.
Jan ouvrit et aperçut des boîtes de conserve, du pain, quelques boissons gazeuses, des fruits et un gâteau fait par les religieuses. Il tenta vainement de cacher sa faim. Ses mains commencèrent à fouiller pour tout découvrir. Il prit une boîte de
Klik
et se dirigea vers le comptoir pour y chercher l’ouvre-boîte. Il ne le trouva pas. Ses gestes, de moins en moins gourds, commencèrent à ouvrir et à refermer frénétiquement tiroirs et portes. Villeneuve le regardait faire, la bouche incrédule devant tant de soudaine agressivité.
– Où est-ce qu’ils ont mis le maudit
can opener?
Jan se dirigea vers le lit d’un des métis, ouvrit la commode qu’il fouilla sans ménagement, les vêtements volant comme des oiseaux effarouchés par l’arrivée d’un chat. Ne trouvant rien, il se dirigea vers le second lit et fit subir le même sort au chiffonnier. De plus en plus enragé et poussant des grognements d’impuissance, il tourna le matelas sous le regard à la fois affolé et chagriné de Villeneuve. Transpirant et respirant comme un cheval de labour, Jan revint vers les tiroirs près de la pompe et les fouilla de nouveau. Il se résigna à sortir un vieux couteau épointé et ébréché. Il en éventra la boîte et Villeneuve reconnut le geste qu’il lui avait vu faire quand il avait saigné un cochon. Jan mangea avec le couteau et ses doigts. Villeneuve était épouvanté de voir avec quelle vitesse Jan s’était engouffré dans la déchéance. Il se leva d’un bond.
– Fais ta valise, Jan. Tu viens avec moi.
Jan cessa de mâcher et dévisagea Villeneuve de ses
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