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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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boîte, qu’il referma. Villeneuve comprit que cette petite boîte contenait tous les souvenirs des dix-neuf ans de vie de Jan. De véritables reliques, de vrais artefacts d’une époque révolue.
    – Pensez-vous qu’Élisabeth est bien?
    Villeneuve répondit qu’Élisabeth avait réappris à dormir sans faire de cauchemars, que Jan l’avait vue lui-même à Noël et qu’elle ne se plaignait de rien.
    – Tout ce qui l’inquiète, Jan, c’est toi.
    – Qu’est-ce qu’elle a dit, elle, pour le mariage?
    – Elle a répondu oui avec enthousiasme.
    – Ah oui?
    – Oui, parce que cela lui donnait l’occasion de te voir souvent.
    Jan ne discuta plus et ramassa ses frusques, qu’il jeta dans un sac de toile récupéré au fond d’un placard. Il prit cependant soin de bien plier les vêtements que lui avait offerts M me Dussault à Noël. Il ficela finalement sa boîte de cigares sur l’étui à violon.
    Le ciel s’était coloré du rouge de la honte quand Jan franchit le pas de la porte. Jan s’assit dans l’auto et ne songea même pas à poser le violon sur la banquette, tant il le tenait serré dans ses bras. Personne ne le vit partir. Personne ne vint le saluer et Villeneuve lui-même n’eut pas le courage de nettoyer la chambre des vestiges de sa rage.

44
    – Alors, Jan, tu penses qu’on devrait jouer l’
Ave Maria
?
    – Absolument. À la sortie de l’église, pour que la Vierge noire protège leur mariage. Si ce sont de vrais Polonais, je suis certain qu’ils vont trouver ça extraordinaire.
    – Avec l’orgue?
    – Évidemment. Nous, nous jouerons la partition lyrique.
    Élisabeth ferma les yeux et chantonna l’
Ave Maria
, un sourire se dessinant sur ses lèvres.
    – Ça va être religieux et romantique. J’aurais aimé avoir un mariage comme celui-là.
    Élisabeth regarda son frère et lui sourit. Le visage de Jan avait retrouvé des traits réguliers, hormis une nouvelle balafre près de la narine. Il lui rendit son sourire, pensant encore une fois qu’il était trop heureux. Depuis que le père Villeneuve l’avait ramené au presbytère, il avait vécu les deux plus belles semaines de sa vie. Chaque minute du jour, il se pinçait pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Depuis quatorze jours, il dormait enfin ses nuits, les oreilles assoupies elles aussi, sans crainte d’être volé ou tabassé par surprise. Il mangeait trois repas par jour. Le matin, la tête reposée et le corps occupé à digérer, il prenait le tramway, puis le trolleybus,et rejoignait Élisabeth chez les Dussault. La salle d’attente avait été mise à leur disposition entre midi trente et quatorze heures, le temps où le docteur s’absentait de son cabinet, soit pour monter à l’étage prendre une bouchée, soit pour effectuer une visite d’urgence. Jan se sentait si bien qu’il s’était même mis à quatre pattes pour laver le plancher de la cuisine pendant que sa sœur écrivait quelques arrangements pour le mariage. D’être à genoux ne l’avait pas humilié alors qu’il aurait frappé, à Saint-Adolphe, celui qui le lui aurait demandé. Jan accorda son instrument. Les cordes, remplacées grâce à Villeneuve, luisaient comme des bijoux neufs et les crins de l’archet n’avaient pas encore eu le temps de se teinter d’arcanson. Jan avait – à l’insu de Villeneuve – inscrit le montant de ces dépenses sur un papier qu’il avait rangé dans sa boîte de cigares. Il écouta sa sœur attaquer les premières mesures de l’
Ave Maria
et, encore une fois, fut renversé par son immense talent.
    – Cesse de me regarder et concentre-toi un peu. Nous faisons un duo, Jan.
    Jan approcha l’archet de son front et fit un salut militaire.
    – Oui, mon commandant.
    Ils s’exercèrent plus longuement que d’habitude, les Dussault s’étant absentés pour le dimanche entier. Ils étaient tous les deux affamés de musique, même si Élisabeth en mangeait toutes les semaines avec ses élèves.
    – On recommence à la mesure…
    – Oui.
    Élisabeth dirigeait extrêmement bien. Jan la regarda tenir l’archet avec toute la fermeté et la souplesserequises. Sa sœur lui avait terriblement manqué. Ils s’étaient peu vus depuis leur arrivée au Manitoba et ce sevrage lui avait pesé lourd.
    Jan et Élisabeth jouèrent pendant plus de deux heures avant de se reposer. Ils entendirent le carillon de la porte et Élisabeth partit à la course, rouge avant même de s’essouffler à monter

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