Même les oiseaux se sont tus
avait clairement dit qu’elle n’avait pas envie de se retrouver au sein d’une famille polonaise à fêter le bonheur de nouveaux mariés qu’elle ne connaissait même pas.
«Quand j’irai à des noces, ce seront les tiennes ou les miennes, Jan. Je suis une veuve blanche et j’ai encore mal quand je pense à… J’ai accepté uniquement par reconnaissance, pour ne pas chagriner le père Villeneuve et pour te voir.»
Elle s’était assombrie avant de s’accrocher un sourire coquin.
«Et peut-être un peu parce que j’avais envie d’entendre le son du violon résonner dans l’espace d’une église.»
Jan regarda le père Villeneuve, qui semblait s’énerver autant que lui. Il ferma les yeux quelques secondes, le temps de penser que son bonheur tirait certainement à sa fin. Il avait réussi à ne plus avoir de maux de tête et de cauchemars pendant près de trois semaines.
– Je voulais vous dire que j’ai l’intention de chercher du travail…
– Ah oui?
– Dès la semaine prochaine.
Villeneuve s’était retourné et Jan vit une profonde tristesse s’inscrire sur son front. Du coup, il fut attendri par une émotion aussi visible. Villeneuve n’était pas Bergeron et il était incapable de le détester pour une maladresse.
– Tu as raison, Jan. Je m’excuse. J’ai sincèrement pensé que vous seriez ravis de vous retrouver avec des Polonais. Une impression que des Polonais…
– … veulent être avec des Polonais. Vous avez peutêtre raison. Moi, j’y serai.
Jan vit le visage de Villeneuve s’illuminer et il soupira de contentement d’avoir accepté le report d’une sortie.
Le soleil se pointa à l’horizon, un peu timide d’abord, puis de plus en plus vigoureux. Le printemps venait de gagner la bataille des saisons et de s’approprier la terre qui dégouttait encore de ses derniers arrosages. Jan était parti tôt avec Villeneuve pour arriver à l’égliseet répéter quelques heures avec l’organiste. Élisabeth et Étienne les attendaient devant l’église polonaise, remplie à craquer pour des funérailles.
– Qu’est-ce qui se passe? Il n’y a plus de mariage?
Le père Villeneuve était aux abois et il entra par la sacristie, espérant rencontrer un sacristain ou quelqu’un pouvant le renseigner. Jan et Élisabeth attendirent patiemment. Villeneuve ressortit à la hâte, une enveloppe à la main.
– Le printemps se fait sentir partout. Après les funérailles, il va y avoir deux mariages ici. Notre mariage va se tenir dans l’église ukrainienne. J’avais un message de M me Jaworska qui s’excuse de n’avoir pas pu m’en aviser plus tôt.
Ils repartirent donc en direction de l’église ukrainienne où les attendait une organiste sèche et nerveuse qui ne cessait de s’humecter les lèvres après chaque phrase. Jan s’en énervait à tout coup. Voyant que tout marcherait rondement, Étienne quitta Élisabeth et promit de venir la chercher vers vingt et une heures. Elle le laissa lui baiser une joue devant Villeneuve qui se contenta de toussoter. Jan et Élisabeth montèrent et s’installèrent au fond du jubé, regardant l’heure et calculant qu’ils n’avaient plus qu’une quarantaine de minutes pour répéter. L’organiste mit des lunettes qui lui pinçaient visiblement le nez et regarda leur choix musical.
– Très bon choix. Vous pouvez jouer tous ces morceaux?
Jan faillit répondre qu’en fait ils avaient choisi au hasard, puisqu’ils ne savaient pas trop bien lire la musique, mais il se tut, voyant le sérieux qu’Élisabeth mettait à son travail. Il remarqua que ses paumesétaient humides et il fut étonné de se sentir le ventre à l’étroit. Ils choisirent de s’asseoir derrière l’organiste et installèrent des lutrins de fortune. Villeneuve les regarda faire, inquiet.
– Vous n’allez quand même pas vous asseoir pour jouer!
– Évidemment. Quand on doit jouer plusieurs pièces, il est préférable d’être assis. D’autant plus qu’on ne joue pas sans arrêt.
– Mais vous allez être debout quand va venir le temps de jouer fort…
– Ça ne joue pas plus fort debout qu’assis, mon père.
Villeneuve paniqua.
– Mais moi je veux vous voir. C’est presque un spectacle que vous faites et je dois vous avouer que je suis très excité. Après tout, c’est moi qui ai vanté votre talent aux Jaworscy.
Jan et Élisabeth se regardèrent et déplacèrent leurs chaises pour être devant l’orgue, mais dos à la
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