Même les oiseaux se sont tus
son regard sur la Rouge.
– Elle fait un peu pitié si on la compare au Richelieu du Québec…
– Tu as vu le Richelieu?
– Je suis passé au-dessus en train. Il n’était pas encore gelé.
– C’est vrai.
– Mais la Rouge, c’est ma rivière. Quand j’étais à Londres et que je travaillais à la reconstruction de la ville, je ne rêvais que d’une chose: avoir mes jardins le long d’une rivière.
– On peut dire que tu as réalisé ton rêve…
– Plus que mon rêve, Jan. Cent fois, mille fois plus…
Jan regarda son frère, se demandant par quelle force il avait survécu au camp de travail, aux combats, aux blessures, à l’hospitalisation et à la solitude. Comment Jerzy continuait-il de penser que la vie était une chose extraordinaire? Jan aurait été étonné de savoir que Jerzy regrettait toujours la Pologne et l’Australie.
Les frères se mirent à quatre pattes l’un en face de l’autre et commencèrent à planter les pommes de terre. Jerzy se déplaçait de manière complètement désarticulée mais ses mains enfouissaient les tubercules plusrapidement que celles de Jan qui, lui, se mouvait avec plus d’aisance.
– Qu’est-ce que tu penses d’Anna?
Jan sourit de la naïveté de la question. Jerzy savait fort bien qu’il adorait sa belle-sœur.
– Je pense qu’elle doit trouver sa maison bien envahie, avec sa mère et son beau-frère.
– La maison appartient à sa mère, Jan.
Du coup, Jan fut mal à l’aise. Il ne s’était pas rendu compte qu’il devait l’hospitalité à M me Jaworska et non à son frère. Il se promit de jouer plus souvent aux cartes avec elle.
Le dimanche arriva, amenant avec lui Élisabeth et Étienne. Élisabeth avait apporté une robe usée pour travailler dans les champs.
– Voyons, Élisabeth, on ne travaille pas dans les champs le dimanche. Pour les récoltes, oui, mais pas pour les semis.
Désolée de ne pouvoir jouer dans la terre, Élisabeth s’assit dehors en compagnie de ses frères, d’Étienne et d’Anna et regarda passer les automobiles.
M me Jaworska offrit du jus que seules Élisabeth et Anna acceptèrent alors que les hommes prirent de la vodka avec des croûtons et un verre d’eau glacée. Plus d’une heure passa avant que Jan ne s’excuse et leur fausse compagnie. Il rentra dans la maison, s’installa dans sa chambre, du papier à lettres sur les genoux, et écrivit à M. Favreau sous le regard des lunettes de son père.
«C’est extraordinaire d’avoir retrouvé mon frère. Il ne me ressemble en rien.»
Il se relut et se demanda s’il était normal qu’il trouve Jerzy trop naïf, tropcandide, trop parfait, trop… aîné. Il soupira, jetant un coup d’œil rapide aux lunettes qui semblaient désapprouver sa pensée.
«Je te jure, papa, que je fais tout pour l’aimer, mais je ne le connais pas. J’ai l’impression qu’il s’imagine que je suis encore le petit frère qui avait dix ans quand il est parti. Je l’admire énormément mais je ne peux pas l’aimer comme j’aime Élisabeth. Il n’a jamais eu besoin de moi, lui.»
«
Nous avons terminé les semis cette semaine et je vous avoue qu’aux petites graines je préfère les légumes finis, dans les étals. Jerzy me dit avoir vu un groupe de Polonais à la gare lors de son passage à Montréal. En faisiez-vous partie? Ce serait quand même drôle de penser que vous auriez pu nous réunir, vous. Il portait un étui à violon. Est-ce que cela vous rappellerait quelque chose?
»
Jan termina sa lettre sur des insignifiances, parlant quand même d’Anna qu’il aimait vraiment beaucoup. Son enveloppe cachetée et affranchie, il ressortit pour se joindre aux autres. Élisabeth et Étienne étaient partis marcher, et la mère d’Anna avait décidé de rendre visite à une voisine. Jan se sentit de trop.
– Excusez-moi.
Anna éclata de rire et tendit un bras pour que Jan se joigne à eux.
– On parlait de toi, Jan.
– De moi?
Jan se recroquevilla près d’Anna, se sentant soudainement très petit et, il dut se l’avouer, en sécurité.
– Est-ce que ça te plairait qu’on aille à Saint-Adolphe visiter les gens que tu connais?
Il se raidit, ayant la terrible impression d’être tombé dans un guet-apens.
– Non.
Il se releva rapidement et, sous les yeux surpris de Jerzy et d’Anna, annonça qu’il allait essayer de retrouver Élisabeth et Étienne. Anna lui indiqua la direction qu’ils avaient prise et, à son grand étonnement,
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