Même les oiseaux se sont tus
mont Cassin, je ne devais pas avoir meilleure mine que les navets que j’ai aperçus tout à l’heure.
Devant la comparaison, Anna esquissa un sourire avant d’éclater d’un rire nerveux et amusé. Ils finirent de nettoyer les dégâts et Jerzy quitta la maison pour aller à la Coop acheter une nouvelle vitre et du mastic. Il revint avec quatre cultivateurs qui avaient décrété qu’ils feraient une corvée de nettoyage dans les champs. Jerzy installa la vitre avant d’aller les rejoindre. Anna prépara une limonade.
Jerzy ne rentra pas avant que le soleil ne se fût complètement assoupi. Ils avaient nettoyé deux champs et il était complètement courbatu. Anna le frictionna au liniment à l’odeur de thé des bois et il ne cessa de pousser des petits gémissements et des soupirs de plaisir sous ses caresses un peu rudes.
– Madame a la main ferme, ce soir.
– Il semble pourtant que cette main augmente la fermeté de monsieur.
Jerzy éclata de rire et attira Anna qui s’abandonna complètement dans ses bras. Ils firent l’amour à deux reprises, se taquinant comme des enfants.
– Ma foi, qu’est-ce qui est aphrodisiaque? Les grêlons, le travail ou l’odeur de thé des bois?
– Non. Ce qui m’excite, c’est toi. Et je vais certainement te faire encore plus plaisir quand je t’aurai dit que les dégâts ne sont pas aussi graves que nous le pensions.
Anna couina en entendant la bonne nouvelle et elle s’endormit en souriant dans les bras berçants de Jerzy.
Étienne, l’air guilleret, arriva le dernier dimanche de juillet sans s’être annoncé.
– Je m’excuse d’avoir l’air aussi joyeux quand je sais que votre récolte a été grêlée, mais j’ai reçu une lettre d’Élisabeth et elle me dit qu’elle rentre le 28 août.
– Le 28 août? Ça veut dire qu’elle sera ici dans cinq semaines.
– C’est ce que ça veut dire.
Étienne s’assit dehors dans le parterre et soupira de bonheur. Craignant une insolation, il n’enleva pas son chapeau de paille, mais il le repoussa vers l’arrière.
– Quand une bonne nouvelle arrive, elle est habituellement suivie d’une deuxième.
Étienne, l’air taquin, fut assez satisfait de l’effet qu’il venait de produire. Anna semblait prête à bondir de joie tandis que Jerzy oublia que Stanislas attendait la sucette qu’il tenait dans sa main.
– J’ai été approché par Radio-Canada pour travailler à Ottawa.
Anna se força à sourire tandis que Jerzy grimaça assez discrètement pour que seule sa femme comprenne son malaise.
– Pour faire quoi?
– Comment ça, quoi? Pour faire de la radio, évidemment!
Étienne fut déçu de voir que sa nouvelle ne les avait pas enchantés.
– Et Élisabeth?
– Nous nous marions et nous déménageons à Ottawa.
Jerzy mit la sucette dans la bouche de Stanislas et marmonna qu’il n’avait pas envie que sa famille soit ainsi dispersée.
– À deux endroits, ça peut toujours aller. Mais trois... Nous ne sommes pas assez riches pour nous payer des voyages tous les ans.
– Lui en as-tu parlé?
– Pas encore, Anna. Vous êtes les premiers à qui je le dis.
Jerzy, qui avait la conviction qu’Élisabeth ne reviendrait pas, ressentit un profond malaise en pensant qu’Étienne lui-même pouvait partir. Il décida d’aller marcher quelques instants, le temps de feindre un mal de jambe. Seul, loin d’Anna et d’Étienne, il mit ses mains dans sa figure et soupira longuement, se demandant pourquoi la vie s’acharnait à l’isoler. Moins de trois mois plus tôt, il avait cru à un avenir cousu dans la fibre familiale. Maintenant, il était en froid avec son frère; sa sœur, il en était certain, ne reviendrait pas; le père Villeneuve avait été muté et Étienne parlait d’une nomination impliquant un transfert. Jerzy regarda ses champs, qui avaient résisté à une attaqueplus que meurtrière, et fut ridiculement fier d’eux. Il revint vers Anna qu’il trouva allongée sur le ventre, occupée à jouer avec une sauterelle qui lui explorait la main. Étienne, lui, s’était étendu sur le dos, le visage protégé par son chapeau. Stanislas gigotait sur une couverture et sa mère avait ouvert un parapluie près de lui pour le protéger du soleil. Jerzy sourit. Ce qu’il qualifiait d’idées noires, et non d’ennui, s’évanouit et il s’empressa de chatouiller Anna, qui rit si fort que Stanislas sursauta autant qu’Étienne, dont le chapeau avait camouflé
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