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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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des carreaux bleus et jaunâtres du plancher. Il en vit un de craquelé. On leur criait maintenant de descendre et il regarda les balustrades des galeries, aux moulures en rosaces. Il tenta de compter les marches mais trébucha sur le palier et changea d’idée, se contentant de savoir qu’il y en avait au moins deux fois une quinzaine. Ils passèrent sous une arche en ogive et tournèrent encore une fois avant de poursuivre leur descente vers la sortie. Il eut l’impression de n’avoir jamais remarqué la couleur des colonnes gothiques, dont les teintes de la pierre allaient du beige au marron en passant par plusieurs tons de gris. Il aperçut enfin la porte de sortie et se demanda si son cœur n’allait pas éclater avant qu’il ne revoie le soleil de midi. Parce qu’il était midi, comme le sonnaient les cloches de la ville, enterrant le souffle du clairon. Ils se retrouvèrent tous à l’extérieur et il remarqua que le sol était maintenant fait de carreaux beaucoup plus grands posés en damier. Il traversèrent une des nombreuses portes de métal forgé et se retrouvèrent dans la cour, forcés de s’immobiliser encore une fois.
    Les camions traversèrent la ville en faisant pétarader leurs chevaux-vapeur qui tiraient un chargement transpirant à la fois de chaleur et d’angoisse. Tous les hommes se taisaient, préférant être à l’écoute de leurs pensées et de leur cœur.
    Les camions s’arrêtèrent enfin et Tomasz reconnut la prison. Ils avaient dû passer tout près de l’école de Jan. Escortés par des soldats encore plus nombreux, ils entrèrent et Tomasz fut étonné de voir à quel pointl’impuissance et l’angoisse avaient alourdi leurs semelles.
    Quand la nuit avait commencé à devenir de plus en plus silencieuse, qu’Élisabeth s’était glissée dans sa chambre, que Jan les avait rejointes dans le lit et que le bébé avait cessé de lui labourer l’abdomen, Zofia s’était forcée à arrêter de trembler.
    Pendant deux jours, les professeurs restèrent là à attendre que quelqu’un décide de leur sort.
    – Je pense qu’on a voulu nous faire une bonne peur. Nous devrions rentrer à la maison demain.
    – Je suis d’accord. Ce doit être la façon que les Allemands ont choisie pour nous faire comprendre que l’université était sous scellés et que ce n’était pas négociable.
    – Qu’est-ce que vous en pensez, monsieur Tomasz?
    Tomasz avait envie de leur dire qu’il avait la sincère conviction qu’ils en étaient à la première station de leur chemin de croix, mais il se contenta d’esquisser un sourire fade et de hausser les épaules.
    – Si M. Tomasz n’en pense rien, c’est que l’histoire ne nous a pas donné de modèles. Il n’y a rien à en penser.
    – Professeur, croyez-vous que la date du 6 novembre va être mémorable?
    Un des clercs venait de sortir de sa torpeur et lui avait posé la question.
    – Je l’espère sincèrement.
    Tomasz lui avait faiblement souri pour le rassurer et il apprit par le regard du brave homme que ce dernier avait parfaitement compris ce qui leur arriverait. Après ces deux jours de limbes, ils furent regroupés et on lesfit remonter dans des camions qui les emmenèrent à la gare. Tomasz ne fut pas le seul à conclure que les trains se rendraient à différentes destinations. Ils se saluèrent tous discrètement, espérant, sans y croire, se revoir à l’université sitôt la guerre finie. Lorsque son camion s’immobilisa et qu’on les fit descendre devant les portes de la gare, Tomasz jeta un coup d’œil derrière lui, caressant l’espoir secret d’apercevoir Zofia, Élisabeth ou Jan.
    Le train fit halte en pleine campagne. Tomasz ferma les yeux, certain d’entendre un peloton d’exécution charger ses armes et lui viser le dos. Le silence ne s’emplit d’aucun crépitement. Tomasz fut plutôt transféré avec certains hommes dans un nouveau wagon. Ils y montèrent, les canons des armes leur grattant le crâne et les côtes pour qu’ils pressent le pas. Tomasz ne résista pas, mais perdit ses lunettes, qu’il put ramasser et reposer sur son nez. C’est à ce moment que, dans le coin supérieur de son verre gauche, il aperçut un tout petit éclat. Son verre avait été si discrètement fêlé que Tomasz pensa tout à coup qu’il était presque heureux qu’il puisse, du matin jusqu’au soir, voir une étoile luisante comme un diamant. Il se fit la promesse formelle que, le mois de novembre fini,

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