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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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mais non. Il est resté planté
    derrière moi, ses mains posées sur mes épaules. J’ai dévisagé les
    gens. Aucun ne poussait de cris de joie, ni même ne souriait. Ça
    m’a surpris. N’étaient-ils donc pas exaltés pas le spectacle qui se
    déroulait sous leurs yeux ?
    Le grondement sourd était de plus en plus fort, maintenant,
    au point de commencer à couvrir le martèlement de tambour
    des Bottes Noires. Pour moi, le tonnerre était toujours venu du
    ciel, mais celui-là venait de sous mes pieds. La rue elle-même en
    tremblait. C’est alors que je les ai vus…
    — Youri ! me suis-je écrié.
    — Les chars, a-t-il expliqué.
    Insectes colossaux au long museau gris, les tanks
    descendaient le boulevard en rugissant, à quatre de front, et le
    ciel vacillait sur ses gonds, et j’ai compris à quel point il avait été
    idiot d’essayer de les arrêter avec des tranchées, des sacs de
    sable et des mitrailleuses. J’ai plaqué mes mains sur mes
    oreilles. La foule a lancé une unique fleur blanche. Elle a
    rebondi sur le flanc métallique d’un tank avant d’exploser en
    une pluie de pétales.
    Comme je n’avais pas de fleur, j’ai jeté mon fromage.

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6

    Le lendemain matin, Youri et moi sommes sortis pour une
    tournée d’inspection. Les tanks avaient disparu. Les Bottes
    Noires flânaient, comme nous. Ils contemplaient les passants,
    discutaient entre eux. Je ne pouvais m’empêcher de les fixer des
    yeux.
    Une meute de gens couraient. Nous avons tourné au coin
    d’une rue. S’y trouvait un gros camion au hayon ouvert. Des
    soldats lançaient des miches. Les habitants de la ville en
    attrapaient une avant de se dégager et de s’éloigner. Nous les
    avons regardés en mâchant nos fromages. J’étais fasciné. J’avais
    ignoré jusqu’alors que le pain pouvait être donné.
    Nous avons poursuivi notre balade. Sommes arrivés à un
    autre rassemblement.
    — Reste ici, m’a dit Youri.
    Bien sûr, je ne lui ai pas obéi. Je me suis faufilé entre les
    jambes des badauds qui me cachaient la vue. Un homme en
    long manteau noir était à genoux. Il avait une grande barbe
    grise. À côté de lui, un seau d’eau. Il trempait sa barbe dedans
    puis astiquait le trottoir. Deux Bottes Noires le dominaient,
    hilares. Quelques curieux rigolaient aussi. L’homme en noir ne
    riait pas.
    Je suis revenu vers Youri. Je l’ai tiré par la manche.
    — Viens voir ! Un homme nettoie le trottoir avec sa barbe !
    Youri m’a donné une claque.
    — Tu n’es qu’un imbécile.
    Et il m’a entraîné.
    Un peu plus loin, un nouveau spectacle nous a arrêtés. Deux
    soldats se tenaient devant un autre barbu en noir. L’un d’eux,
    armé de ciseaux, coupait la barbe de l’homme et les cheveux qui
    bouclaient sur ses oreilles.
    Je me suis précipité vers les soldats.
    — Amenez-le-nous, ai-je dit. Nous vivons sous la boutique
    23

    d’un barbier. Il pourra s’asseoir dans le fauteuil rouge. Nous
    avons des bouteilles de lotion.
    Les militaires m’ont dévisagé, éberlués. Youri m’a attrapé. Il
    leur a lancé quelques mots que je n’ai pas compris. Les gars ont
    rigolé. Youri s’est éloigné, me tirant brutalement derrière lui.
    Derrière nous, les soldats s’esclaffaient. Je me suis dit :
    « Les hommes barbus en longs manteaux noirs ne rient pas. »
    Plus tard, ce jour-là, nous étions assis sur nos lits, en train
    de manger des éclairs au chocolat.
    — Ne t’approche pas des Bottes Noires, m’a conseillé Youri.
    — Mais ils aiment les blagues.
    — Ils te haïssent.
    Ça m’a fait rire.
    — Ils ne me haïssent pas. Ils me disent : « Très bien, petit
    tsigane. » Ils me saluent. Je veux devenir un Bottes Noires.
    Il m’a giflé, envoyant valser ma pâtisserie.
    — Tu n’es pas un Bottes Noires. Tu ne seras jamais un
    Bottes Noires. Tu es ce que tu es.
    Je suis allé ramasser mon gâteau. Il y avait pourtant une
    chose dont je ne voulais pas démordre.
    — Les gens aiment les tanks.
    — Ils détestent les tanks.
    — Quelqu’un a lancé une fleur.
    Youri a reniflé, méprisant.
    — Un trouillard. Si les Bottes Noires leur ordonnaient
    d’embrasser le cul du char, certaines personnes s’exécuteraient.
    Je me suis esclaffé en imaginant le cul d’un char.

    Ce soir-là, alors que j’étais allongé sur mon lit, la voix de
    Youri a transpercé l’obscurité.
    — Tu as besoin d’un nom.
    — J’en ai un.
    — Un vrai.
    — Pourquoi ?
    — C’est comme ça, ne

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