Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
moyen, mais il était vain et il la regardait comme le plus envié de tous les résultats définitifs. Il était trop avisé pour aventurer à bas prix ce but de ses aspirations.
Il me paraît donc probable qu’il fit honnêtement son petit trafic d’épicier ; peu scrupuleux sur les fraudes, sur les falsifications, et s’en donnant à cœur-joie, fourbant même si l’occasion s’en rencontrait, mais encore convaincu, durant ces deux années dans lesquelles l’œil investigateur de la justice ne trouva rien à reprendre, que l’on pouvait parvenir à la fortune avec ce qu’il appelait de la probité.
En 1772, une de ces nouvelles, qualifiées par les superlatifs de Madame de Sévigné, mettait en émoi tout le quartier Saint-Victor.
La commère Desrues se mariait ; il épousait une jeune fille, riche et titrée, qui allait faire de lui un gros seigneur et lui ménageait ses entrées à la cour.
Ce mariage est un roman dont les très sérieuses péripéties semblent appartenir bien plutôt à la fiction qu’à la vie réelle.
Comme dans un véritable conte de fée, l’ambitieux épicier avait découvert sa pseudo-princesse dans une échoppe de la rue de Charonne.
La fée, dont la magique baguette devait métamorphoser le magasin de l’épicier en palais, se nommait Marie-Louise Nicolais. Elle n’était ni belle, ni intelligente. Son père, bas-officier d’artillerie était mort ; sa mère avait épousé, en secondes noces, un savetier, paresseux et ivrogne, qui les laissait dans un tel dénûment qu’elles nattaient des paillassons pour vivre. Mais si de dot il n’était pas question, l’épousée avait cependant dans son bagage matrimonial une aventure qui devait ouvrir des horizons bien dorés à l’aventureuse imagination de Desrues et qui lui procurait, en outre, le moyen de fournir des éblouissements aux esprits crédules sur lesquels il comptait pour arriver à ses fins.
Voici quelle était cette aventure.
Un gentillâtre nommé Despleignes du Plessis, habitait naguère une espèce de donjon féodal, à moitié ruiné, que l’on nommait le fief de Caudeville et qui était situé dans les environs d’Auxerre.
Ce Despleignes du Plessis était une façon de misanthrope rustique, doté de toutes les petites passions particulières aux petits esprits, avare, bourru, et si méfiant, qu’il ne souffrait pas même la présence d’un domestique dans sa tourelle. Haïssant ses voisins qui le lui rendaient bien, tracassant ses fermiers, et faisant une guerre acharnée aux braconniers, qu’en sa qualité de fervent disciple de saint Hubert, il haïssait comme autant de pestes.
Un jour on le trouva étendu sans vie, dans son fauteuil, au coin de l’âtre, et la poitrine trouée par une charge de plomb à lièvre.
Le crime était flagrant ; car la fenêtre était restée ouverte, et les fusils du mort étaient tous chargés dans leur râtelier ; cependant les investigations de la justice furent impuissantes, et fermier malmené, ou braconnier mécontent, l’assassin ne fut pas découvert.
Mais Despleignes du Pléssis était assez peu intéressant pour qu’il n’y ait pas lieu de s’étonner qu’on oubliât assez promptement le mort, pour ne songer qu’au partage de son héritage.
Or, la fille du sous-officier Nicolais, avait une part à revendiquer dans la succession du gentillâtre, et voici comme.
Despleignes n’avait pas toujours été Despleignes, écuyer, seigneur de Caudeville, Herchies et autres lieux ; il s’était appelé Béraud, et son père avait tenu boutique à Beauvais, peut-être dans les conditions si courtoises de M. Jourdain, mais à coup sûr non moins lucrativement que le bourgeois-gentilhomme, car il avait ramassé assez d’écus dans son commerce pour acheter les fiefs dont il vient d’être question, et ménager à son fils cette métamorphose du Béraud en Despleignes du Plessis. L’arbre généalogique du défunt se trouvait ainsi greffé de quelques parentés parfaitement roturières, et, en qualité de cousine issue de germaine, Thérèse Richardin, veuve Nicolais, épouse en secondes noces du savetier Caron, et mère de la future madame Desrues, avait ses droits dans la succession du hobereau.
C’étaient ces droits qui avaient tenté le petit épicier, c’étaient eux qu’il épousait.
Le contrat fut passé en bonne forme, et avec non moins de cérémonial que s’il se fût agi de vraiment hauts et puissants seigneurs, par devant
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