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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
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le ferblantier Legrand, à Chartres, puis chez la veuve Cartel, quincaillère ; il ne fit que passer dans ces deux maisons.
    Desrues n’avait aucune des aptitudes qui caractérisent l’ouvrier ; être aussi féminin que masculin, chez lequel, dit Cailleau, le sexe était tellement indécis, qu’il fallut une opération pour lui procurer le caractère distinctif de la virilité, s’il avait une vocation, elle devait le pousser vers une de ces professions mixtes qui conviennent également à l’homme et à la femme, et dans lesquelles les mêmes soins, les prévenances, les caquets, jouent le rôle que remplissent la force et l’habileté clans un autre état.
    Aussitôt que Desrues fut libre de consulter ses goûts, il se fit garçon épicier, et, après un stage chez un marchand de la ville de Chartres, vint à Paris, où il se plaça en premier lieu chez un épicier de la rue Comtesse-d’Artois, puis chez la belle-sœur de son premier maitre, qui était elle-même épicière dans la rue Saint-Victor. Ici, le vrai Desrues se dessine : Cet être souffreteux, incomplet, qui mérite à peine le nom d’homme, est dévoré d’ambition ; il a rêvé qu’il sortirait de la foule, qu’il arriverait à la fortune et aux honneurs, et, du bas-fond social où il végète, il a vu, avec une sûreté de coup d’œil qui fournit la mesure de l’énergique volonté de son tempérament, le premier échelon qui facilitera son ascension.
    Desrues n’était pas depuis plus d’un mois chez la veuve que celle-ci en raffolait. Elle l’aimait non pas seulement à cause de son caractère doux, affable, bienveillant, de sa vie réglée et religieuse, mais encore et surtout en raison de la multiplicité de clients nouveaux que sa politesse, son air doux, ses façons obséquieuses avaient attirés à la petite boutique de la rue Saint-Victor.
    Levé avant le jour, il recevait les chalands. Doué de facultés d’assimilation extraordinaires, admirable comédien, il avait saisi avec un grand tact le côté faible de tous ceux avec lesquels il se trouvait en rapport, et il parlait à chacun sa langue. Sans façon et bon enfant avec le vulgaire, facétieux avec ceux qui aimaient à rire, il acquérait une sorte de distinction lorsqu’il avait affaire à quelques bourgeois ; il affectait les dehors de la piété la plus sincère avec le clergé et les dévotes. Jamais il ne sortait que pour aller aux offices ; sa ferveur était si grande qu’il avait obtenu de sa maîtresse de lui louer un banc à Saint-Étienne-du-Mont en sacrifiant la moitié de ses gages à cette œ uvre pie.
    L’habileté de cette conduite n’avait point échappé aux fortes tètes du quartier qui disaient déjà : Le petit Desrues, ou plutôt ma commère Desrues, car c’était ainsi qu’on le nommait dans la rue Saint-Victor, ira loin.  
    On ne s’étonna donc pas, lorsqu’en janvier 1770 on apprit que Desrues venait d’acquérir le fonds d’épicerie de la veuve.
    Comment acheta-t-il ce fonds ? Comment paya-t-il le prix de cet achat ? Desrues a assuré, et ses deux biographes ont répété, qu’il avait eu trois mille cinq cents livres de sa part de l’héritage paternel. Peut-être est-il permis de présumer que la bienveillance de sa maîtresse lui facilita cette acquisition.
    Quoi qu’il en fût, il avait vingt-six ans lorsqu’il fut reçu marchand, au mois d’août 1770.
    Une fois établi, que fit Desrues ? Cailleau et Baculard prétendent que le vol et l’incendie l’aidèrent à arriver à une fortune qu’on estimait très importante ; mais il n’y a rien de positif dans ce qu’ils avancent, et, en admettant cette donnée, il faudrait admettre alors que ces actes eussent été bien cachés, puisque l’instruction minutieuse, dont les antécédents de Desrues furent l’objet, ne put rien incriminer dans cette époque de sa vie.
    Desrues devait être décidé à arriver à tout prix, c’est-à-dire à ne pas reculer, même de vant un crime pour atteindre le but vers lequel il tendait ; mais il me semble qu’une nature essentiellement calculatrice, comme l’était la sienne, ne se décide au crime que lorsqu’il est indispensable à ses projets, que lorsqu’elle a épuisé tous les autres moyens d’obtenir l’accomplissement de ses desseins.
    Ce qu’ambitionnait Desrues, ce n’était pas seulement la richesse, c’était la considération. Cette considération, non seulement pour lui, elle avait son prix comme

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