Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
il s’était prudemment rabattu sur cette fille laide et commune, mais à laquelle un oncle devait laisser quelque bien.
Pendant un temps, les liens qui unissaient mademoiselle Perrier au séduisant écuyer se passèrent de la consécration civile et religieuse. Elle avait acheté une maison de campagne à Palaiseau ; ils y vécurent sans que personne soupçonnât l’irrégularité de leur liaison. Mais la jeune femme ayant donné le jour à un fils, et la mort de son oncle l’ayant rendue propriétaire d’une fortune assez considérable, M. de la Motte l’épousa, acheta des deniers de la succession la terre du Buisson-Souef, près de Villeneuve-le-Roi, et dans laquelle il alla s’établir avec sa femme et le fils qu’il avait reconnu.
Onze années s’étaient écoulées, et M. de la Motte qui, en faisant l’acquisition de la terre du Buisson-Souef, avait beaucoup songé à se ménager les plaisirs et la douce vie du seigneur châtelain, commença à se préoccuper de l’avenir de l’enfant qui poussait et croissait à vue d’œil. Le charme d’être le seigneur du Buisson-Souef eut son revers ; il s’aperçut que les réparations, les aménagements, les améliorations absorbaient la meilleure partie du revenu ; que la somme qui, au bout de l’an, restait disponible, était bien insuffisante pour pourvoir à l’éducation du fils bien-aimé, encore moins pour lui procurer à la cour une charge qui lui permît de faire son chemin ; ces réflexions l’amenèrent tout doucement à se décider à vendre la propriété, et il vint à Paris afin de prier le procureur Joly de lui trouver un acquéreur.
Le hasard voulut que, quelques jours aupara vant, Desrues qui cherchait probablement à se ménager quelque emprunt, avait eu l’occasionde rencontrer le procureur Joly, et lui avait parlé avec l’emphase qui lui était habituelle, des grands biens de sa femme, des immenses espérances que la liquidation, alors commencée, de la succession Despleignes du Plessis ne pouvait manquer de réaliser très prochainement pour lui ; le procureur, séduit par cette fastueuse énumération, lui proposa l’acquisition du domaine du Buisson-Souef. Desrues ne se montra pas éloigné de conclure l’affaire, et, dans son ardeur à servir les intérêts de son client, Me Joly écrivit à M. de la Motte qu’il lui avait trouvé cet acheteur tant souhaité par lui.
M. de la Motte fut effectivement si satisfait de la nouvelle, qu’aussitôt après la réception de la lettre, il faisait partir sa femme pour Paris avec mission, non seulement de se renseigner sur la position de l’acheteur, mais de hâter autant qu’il dépendrait d’elle la conclusion de l’affaire.
Madame de la Motte vit Desrues à un diner que donna son procureur. L’ex-épicier, qui avait amené sa femme, parla avec sa faconde ordinaire de sa fortune et de la fameuse succession ; il avoua, avec une bonhomie parfaitement jouée, qu’il souhaitait ardemment la réalisation de l’acquisition projetée et qu’il ne tiendrait pas à lui qu’elle ne se réalisât ; car depuis longtemps, ajoutait-il, lui et sa chère femme aspiraient après le jour où il leur serait permis d’aller se reposer à la campagne de tous les tracas de la vie parisienne.
Madame de la Motte sortit de table enchantée de sa nouvelle connaissance ; cependant, sur l’observation de son procureur, elle se rendit le lendemain chez le notaire de Desrues pour lui demander quelques renseignements sur la situation de son client. Ces renseignements ne furent pas mauvais, et elle repartait le lendemain pour sa terre, après avoir fortement engagé l’acquéreur à venir examiner en détail sa future propriété.
Desrues était déjà parfaitement décidé à pousser cette affaire jusqu’au bout, certain qu’il était que ce ne serait pas à son détriment. Il partit pour le Buisson-Souef, et pour donner à sa visite le caractère sérieux qui devait achever de surprendre la bonne foi de ses vendeurs, il s’était fait accompagner d’un notaire de Paris, M. Gobert.
M. de la Motte avait conservé de son passé le goût de la bonne chère et des joyeux propos ; Desrues qui, au besoin, savait parler, rire et boire comme un mousquetaire, acheva sur le mari la conquête qu’il avait commencée sur la femme ; et les deux époux ne tarissaient pas en éloges sur ce bon M. de Bury qui venait si à propos, les débarrasser d’une terre qui les
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