Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
que Desrues mettait à s’exécuter n’avaient point fait oublier la cordialité de ses relations avec ce joyeux compagnon, crut devoir l’avertir du voyage de sa femme. Desrues répondit en suppliant madame de La Motte de ne point vouloir d’autre logis que le sien pendant son séjour à Paris. Cette dernière résista ; mais Desrues, qui connaissait le jour de son arrivée, se trouva à la descente du coche d’eau ; il mit tant d’ardeur dans ses instances, il se montra tellement sensible à ce procédé que madame de la Motte ne put persister dans son refus et se décida à accepter l’hospitalité qui lui était offerte avec tant de cœur.
Madame de la Motte se trouvait si fatiguée de son voyage qu’elle se coucha en arrivant rue Beaubourg, où demeurait Desrues, et resta plusieurs jours sans sortir et sans paraître songer à l’affaire importante qui l’avait amenée à Paris.
Desrues mit le temps à profit ; il sema habilement dans son esprit quelques doutes sur la probité de son procureur, et en même temps il donna à entendre à celui-ci que sa cliente n’avait en lui qu’une demi-confiance, de façon à l’indisposer contre elle. Il y réussit assez pour qu’à un dîner que donna Desrues, et auquel Me Joly et sa femme assistaient, celui-ci se tînt sur la réserve et n’abordât pas la question du remboursement ; pour que madame de la Motte, ayant enfin fait prier le procureur de passer chez elle pour s’entendre sur les moyens d’arriver à une transaction, celui-ci répondît en engageant très-froidement la dame à passer à son étude.
Le fils de madame de la Motte était en pension à Paris, rue Serpente ; Desrues, depuis son entrée en relations avec les propriétaires du Buisson-Souef, avait été chargé de veiller sur cet enfant. Sous différents prétextes, il décida la mère à le changer de pensionnat et à le placer dans l’établissement d’un sieur Donon, rue de l’Homme-Armé. Là le fils de la Motte, qui allait avoir quinze ans, était en chambre particulière et sortait tous les soirs pour venir voir sa mère.
Comme je l’ai dit, madame de la Motte était une de ces natures indolentes auxquelles répugne toute fatigue ou morale ou physique. On était au 25 janvier, et les choses n’étaient pas plus avancées qu’au jour de son arrivée. Choyée, dorlotée par les époux Desrues qui redoublaient, vis-à-vis d’elle, de soins, d’attentions et de prévenances, elle paraissait avoir complètement oublié le but de son voyage dans les délices de son engourdissement.
Le 25 janvier au soir, elle se sentit malade.
Après le départ de son fils qui avait passé la soirée près d’elle, elle fut prise de nausées, de vomissements et d’un insupportable mal de tête.
Les jours suivants, le malaise continua, elle ne quitta point son lit ; Desrues rassurait tout le monde et la dissuada d’appeler un médecin, prétendant, disait-il, se connaître assez en drogues pour pouvoir la traiter lui-même. Le 30 janvier, madame de la Motte eut une seconde crise beaucoup plus violente que n’avait été la première. Desrues se mit en mesure de préparer le remède qui devait la guérir, il fit coucher tout son monde, s’enferma dans sa cuisine, et demeura pendant plus d’une heure devant ses fourneaux.
Le lendemain matin 31 janvier, Desrues, qui semblait ne pas s’être couché, fut rencontré par Jeanne Barque, sa servante, au moment où il allait entrer dans la chambre de madame de la Motte, une tasse de tisane à la main.
Jeanne Barque lui demanda des nouvelles de la malade. Desrues lui répondit qu’elle allait tout à fait bien, que sa médecine avait eu un résultat merveilleux, qu’elle ne demandait maintenant que du repos ; et, en même temps, il l’engagea à aller porter aux enfants leurs habillements neufs d’hiver. Depuis l’arrivée de madame de la Motte, le fils et la fille de Desrues avaient été envoyés chez les parents de Jeanne Barque, charrons au Petit-Mont- rouge.
C’était une bonne fortune pour cette fille qui visitait rarement sa famille ; elle partit enchantée.
Desrues descendit alors auprès de madame Desrues qui couchait dans le salon ; il la chargea de plusieurs commissions et l’engagea à rester à dîner en ville, et comme celle-ci lui faisait observer que peut-être madame de la Motte aurait besoin de ses soins.
— Non, lui répondit son mari, je suffirai à tout ; d’ailleurs désormais le sommeil est pour
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