Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
sensibilité de cet enfant, il priait cette femme de dire à son neveu que la mère de celui-ci était venue pour le voir pendant qu’il dormait, et que, le sachant souffrant, elle était partie sans vouloir le réveiller. La femme Pecquet s’acquitta religieusement de la commission ; elle était profondément touchée de la tendresse que le faux Beaupré manifestait pour son pauvre neveu.
Le soir, le prétendu oncle se fit acheter de la manne et du sel de nitre. La femme du tonnelier lui ayant fait observer qu’il serait peut- être prudent d’appeler un médecin.
— Ne le suis-je pas, répondit l’oncle, et quel autre le soignerait avec le même dévouement. Hélas ! ajouta-t-il avec un profond soupir et en levant au ciel ses yeux tout humides de larmes, si cela dure toute science terrestre sera inutile, et ce sera un prêtre qu’il faudra appeler !
Il ajouta encore qu’il avait découvert que ce malheureux jeune homme était en proie à une maladie honteuse qu’il cachait ; qu’il avait découvert dans ses poches des remèdes secrets qui avaient sans doute contribué à empirer sa situation ; et, en même temps, il multiplia tellement les marques du plus vif désespoir que les époux Pecquet redescendirent chez eux remplis d’admiration pour ce brave homme dont les sentiments les avaient édifiés.
Le lendemain, il annonça à ses hôtes que le malade allait mieux et que décidément il espérait le sauver ; mais, sur le midi, pendant que Pecquet travaillait à son atelier, il entendit la voix de l’oncle du jeune homme qui appelait au secours, et suppliait, avec une voix lamentable, qu’on lui apportât un pot d’eau.
Il monta précipitamment avec sa femme.
Le jeune homme était affaissé sur son lit, la figure cadavéreuse, les yeux fermés, et le faux Beaupré s’efforçait de le ranimer en lui faisant respirer un flacon de sels ; mais bientôt la respiration du malade devint stridente, c’était le râle de l’agonie ; l’oncle, qui s’était jeté à genoux, et qui priait et qui sanglotait tout à la fois, supplia la femme Pecquet d’aller chercher un prêtre.
M. Manin, curé de Saint-Louis, arriva quelque temps après ; mais le jeune homme ne reprit pas connaissance et mourut vers neuf heures sans avoir pu recevoir le viatique.
La douleur de Desrues paraissait si violente, que le sieur Pecquet dut le soutenir pour l’aider à descendre l’escalier ; le soir il voulut ensevelir son neveu de ses propres mains et le tonnelier l’aida dans cette funèbre tâche.
Le lendemain il se rendit à la paroisse Saint-Louis, où il déclara le décès de Louis-Antoine, fils de Jacques Beaupré de Commercy, et de demoiselle Marie-Hélène Magny, décédé à l’âge de vingt-deux ans ; prit un extrait de l’acte mortuaire et pria le curé de faire à son pauvre neveu un enterrement décent mais fort simple, le malheureux ayant, disait-il, plutôt besoin de prières que d’apparat. En même temps, il donna six livres pour des messes et six livres pour les pauvres.
Desrues suivit, accompagné de Pecquet, la dépouille mortelle de l’infortuné jeune homme au cimetière de Satory ; après la cérémonie, il donna un louis au tonnelier pour ses peines, revint avec lui rue de l’Orangerie, fit un paquet des hardes du défunt, annonça à ses hôtes qu’il viendrait les prendre dans quelques jours, mais qu’il avait hâte de partir pour prévenir l’arrivée de la mère, qui pouvait être à Versailles d’un instant à l’autre et à laquelle il voulait épargner un coup aussi terrible.
Trois heures après, en effet, Desrues rentrait dans son appartement de la rue Beaubourg avec la physionomie radieuse d’un digne négociant qui vient de terminer une boime petite affaire.
Cependant le dépôt qu’il avait à la cave de la rue de la Mortellerie ne le laissait pas sans inquiétudes, car, le lendemain de son retour de Versailles, il se rendait chez la propriétaire de la maison du Plat-d’Etain.
Madame Masson accueillit très bien son nouveau locataire, mais elle lui annonça que Rogeot, le porteur d’eau qui demeurait dans la maison, avait remarqué que son chien s’arrêtait devant la porte de la cave chaque fois qu’il passait dans l’escalier et grattait sur le seuil en hurlant à la mort.
Desrues du Coudray fit des gorges chaudes sur la crédulité superstitieuse de ce brave homme ; mais, il n’en conclut pas moins que son secret était en danger, et étant
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