Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
le 30 avril la sentence fut prononcée.
Elle portait que Desrues, convaincu d’empoisonnement sur la personne de madame de la Motte et de son fils, ferait amende honorable devant la principale porte de l’église Notre-Dame de Paris ; qu’il y serait mené dans une charrette portant devant et derrière cette inscription : Empoisonneur de dessein prémédité ; qu’il serait vêtu d’une chemise, aurait la corde au col et dans la main droite une torche du poids de deux livres ; qu’après avoir reconnu son crime, il devrait demander pardon à Dieu et à la justice ; puis, qu’il serait conduit à l’échafaud dressé en Grève, et là, aurait les bras, les jambes, les cuisses et les reins rompus vifs, et à l’instant serait jeté dans un bûcher ardent au pied de l’échafaud et ses cendres jetées au vent ; que ses biens seraient confisqués, et au préalable une somme de deux cents livres prélevée pour amende envers le roi, et une autre somme de cinq cents livres pour faire prier pour le repos de l’âme de ses victimes.
Desrues interjeta appel au Parlement, qui, le 5 mai, mit l’appel à néant.
Le 6 mai, il fut mis en la chambre de la question. Tandis qu’on l’y conduisait, il ne manifesta ni terreur ni inquiétude, et discuta avec le greffier quelques-uns des considérants de sa sentence.
On lui lut son arrêt, on l’assit sur la sellette et on lui mit les brodequins.
Au premier coin, il s’écria : « Ah ! mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de moi ! Faut-il que je sois accusé comme cela. Mais j’ai dit la vérité, mon Dieu, donnez-moi la force de la soutenir. »
Au second coin, il poussa plusieurs cris inarticulés ; puis il fit un effort et dit encore d’une voix résignée : « Mon Dieu, donnez-moi la force de soutenir la vérité. »
Au troisième coin : « Aïe, mon Seigneur ! Il n’y a pas autre chose que d’avoir caché la mort ; je ne puis avouer ce qui n’est pas. Je ne suis point coupable du poison. »
Au quatrième coin, il répéta : « Oui, mon Dieu, vous savez bien, vous, que je n’ai point mis de poison. Elle est morte par une révolution de nature ; le fils n’a point voulu qu’on appelât les médecins. »
Sa fermeté ne se démentit pas pendant la question extraordinaire dont il subit également les quatre coins, en ne cessant de soutenir qu’il était innocent, que la mort de madame de la Motte et de son fils était naturelle et en appelant à Dieu de l’erreur judiciaire dont il se disait la victime. Aux portes du tombeau il conservait sa détestable hypocrisie ; il mourait, Desrues, comme il avait vécu, essayant non seulement de mentir aux hommes, mais de tromper Dieu. On l’avait transporté dans la chapelle, il priait à haute voix avec de grands élans de ferveur, et de temps en temps il s’interrompait pour le prendre à témoin de son innocence ; il lui demandait un miracle qui la manifestât aux yeux de tous, offrant sans regret sa vie en holocauste pourvu que sa mémoire fût lavée des crimes qu’on lui reprochait.
A une heure de l’après-midi, l’exécuteur se présenta.
« Depuis deux mois, dit Charles-Henry Sanson dans ses notes, il n’était question que de Desrues dans Paris. Lorsqu’on l’avait conduit rue de la Mortellerie, pour le mettre en présence de la dame qu’il avait fait mourir par le poison, l’affluence du peuple était si grande, l’indignation de tout le monde si violente, qu’il fallut appeler deux compagnies des gardes françaises pour tenir cette foule en respect. J’étais peut-être le seul dans la ville à ne point partager cette curiosité ; car les détails que l’on donnait sur la façon dont il avait tué son monde, m’inspiraient pour lui autant de dégoût que d’horreur. Il est vrai aussi que, d’après ce que le commissaire Mutel m’avait raconté, il était clair que je le verrais tôt ou tard, trop tôt pour lui. Le 5 du mois de mai, M. le lieutenant criminel Bacliois de Yillefort me fit avertir de tout préparer pour le supplice de Desrues, et le lendemain, qui était le 6, j’allai pour le prendre au Châtelet. Il se contait tant d’histoires sur ce Desrues ; on lui attribuait tant de morts que, bien qu’il fut dit que toutes ses victimes avaient été dépêchées par le poison, je ne pouvais m’empêcher de me le figurer comme un homme d’une certaine puissance ; je ne fus donc pas peu surpris lorsque je vis sur le matelas de la question un petit
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