Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
être, si maigre et si chétif, qu’avec sa figure sans barbe et toute ridée comme une vieille pomme, on pouvait bien le prendre pour une vieille femme. Le tortionnaire, qui était là, me dit que, tout malingre qu’il paraissait, il avait enduré les huit coins de l’ordinaire et de l’extraordinaire avec un courage surprenant. Effectivement, il ne paraissait pas trop abattu, et il priait d’une voix qui était faible, mais pourtant très distincte. Je m’approchai et je lui dis, en le saluant, qu’il était l’heure. Il me demanda où je prétendais le conduire, et, comme je ne répondais pas, il dit à plusieurs reprises et très-vite : « A la Maison-de-Ville ! à la Maison-de-Ville ! Je veux dire par écrit, comme j’ai dit par ma bouche, qu’il n’y a pas de poison. »
« Il pleuvait grandement depuis la veille, et j’avais dû faire couvrir le bûcher. Au moment où nous montâmes dans le chariot, cette pluie redoubla, jamais je ne l’avais vue tomber si drue et si serrée. Cet homme qui ; après de si lâches crimes dont il était dûment convaincu, ne témoignait ni repentir, ni contrition, et s’en allait à Dieu comme un relaps, ne m’inspirait pas grande pitié ; cependant son maigre petit corps grelottait si fort sous son mince habit de taffetas, que je ne pus me défendre d’un mouvement de compassion ; l’huissier Favreau avait un parapluie, je le lui demandai et j’en abritai le malheureux.
« Pendant le trajet, il ne cessa de parler ; tantôt il récitait des prières et des litanies, et tantôt il causait de son jugement, s’adressant à M. Bender ou à moi, et disant toujours qu’il n’avait pas empoisonné la dame, qu’elle était morte de sa belle mort, qu’il n’avait eu qu’un tort dans cette affaire, celui d’avoir voulu cacher le corps.
« Lorsque nous fûmes en Grève, je fis, à sa prière, arrêter le chariot devant la Maison-de-Ville, il monta en la chambre, où il écrivit longuement son testament de mort.
« Comme trois heures sonnaient, on le descendit et on le porta sur l’échafaud ; sa figure était devenue aussi jaune que la peau d’une orange, comme l’est celle d’un homme qui a la jaunisse ; mais il était calme et ne tremblait pas. Pendant qu’on lui déliait les bras, pour pouvoir l’attacher sur la croix de Saint-André, il regarda dans la foule et salua plusieurs personnes de la main ; puis il aida mes aides le déshabiller, ce qui donna quelque peine, car, malgré le parapluie, il avait été fort mouillé.
« On l’attacha en croix ; alors il demanda à M. Bender de lui faire baiser le crucifix ; ensuite il regarda fixement un de mes valets, nommé Bastien, qui, devant tenir la barre, l’avait prise dans la main et il lui dit : « Faites vite. »
« Bastien le frappa d’abord aux bras, puis aux jambes et aux cuisses ; à chaque coup il poussait de grands cris ; mais au coup de la poitrine, ses yeux demeurèrent ouverts, il ne bougea plus, et on brûla son corps comme l’ordonnait le jugement. »
VII - L’AFFAIRE DU COLLIER
L’affaire du collier de la reine est tellement connue, qu’il me semble inutile d’en détailler tous les incidents préliminaires, d’ajouter quelques présomptions aux présomptions par lesquelles on a essayé d’expliquer les mystères de cette ténébreuse intrigue qui compromit si fatalement la majesté royale, au moment où la fermentation des passions populaires commençait d’ébranler le trône dans ses bases.
Je me bornerai donc à rappeler très succinctement les faits qui déterminèrent l’arrestation de monseigneur le cardinal de Rohan, du sieur de Cagliostro , de M. Retaux de Villette , de la demoiselle Oliva , et qui livrèrent madame Jeanne de Valois, comtesse de la Motte, à l’exécuteur des hautes œuvres.
Un jour, madame de Boulainvilliers, femme du prévôt de Paris, avait rencontré dans le village de Saint-Léger-sous-Bouvray, en Bourgogne, une petite fille qui lui avait dit, en lui tendant la main :
— Ma belle dame, pour l’amour de Dieu, faites l’aumône à la petite-fille des anciens rois de France.
Ces paroles étonnèrent madame de Boulainvilliers ; elle fit arrêter son carrosse et demanda à l’enfant l’explication de cette singulière formule de mendicité.
Le curé du village, qui passait par là, s’approcha et raconta à madame de Boulainvilliers que cette enfant disait vrai, qu’elle descendait directement de
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