Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
fureur qu’elle détacha le morceau de chair.
Alors, et bien qu’étroitement garrottée, elle recommença de se défendre. Profitant des ménagements que les aides apportaient dans cette lutte contre une femme, elle paralysa longtemps toutes leurs tentatives, et ce ne fut que très imparfaitement que le fer put être apposé une seconde fois sur la seconde épaule.
La justice était satisfaite. Madame de la Motte fut mise dans un fiacre et conduite à la Salpêtrière. Au moment où on la descendit de la voiture, elle essaya de se précipiter sous les roues, et quelques instants après elle tenta encore de s’étouffer en s’enfonçant la couverture de son lit dans la gorge.
Cependant sa détention ne dura que dix mois.
Au mois d’avril suivant elle parvint à s’évader, soit que le gouvernement facilitât sa fuite dans la crainte des révélations que M. de la Motte menaçait de faire à Londres où il s’était réfugié ; soit, ce qui semble infiniment plus probable, qu’avec l’argent du collier, le mari eût gagné quelque sœur de la maison ; soit enfin qu’un de ces cœurs excentriques, pour lesquels la perversité est un attrait, s’étant pris d’une belle passion pour cette triste héroïne, ait entrepris de la sauver.
Quoi qu’il en soit, un soldat placé en sentinelle sous la croisée de madame de la Motte, lui ayant fait passer, de la part d’une personne qui s’intéressait à elle, un costume d’homme qui consistait en une lévite bleu de roi, un gilet et des culottes noires, des brodequins, un chapeau rond à haute forme, une badine et des gants de peau, elle parvint à l’aide de ce déguisement à sortir de la Salpêtrière et à retrouver son mari à Londres.
Elle y mourut le 2S août 1791, les uns disent d’une fièvre bilieuse, les autres d’une chute qu’elle aurait faite en se jetant d’une fenêtre sur le pavé dans un accès de fureur.
On raconte que la sœur qui lui ménagea sa sortie, lui dit en la conduisant à la porte et au moment où : elle s’éloignait : Adieu, Madame, prenez garde de vous faire remarquer.
Il faut bien, ajoute l’auteur des anecdotes sur le règne de Louis XVI, être possédé de la fureur de dire de tristes bons mots pour en. faire sur un pareil sujet.
VIII - L’A UTO-DA-FÉ DE LA PLACE SAINT-LOUIS A VERSAILLES
Ce fut en 1789 qu’eut lieu la dernière application du supplice de la roue, et voici dans quelles circonstances.
Il y avait à Versailles, rue de Satory, un maître maréchal-ferrant qui se nommait Mathurin Louschart.
C’était un homme de ce qui commençait à devenir le vieux temps, le représentant typique de l’artisan des anciens jours, avec tous ses préjugés, toutes ses antipathies, ses haines de corporation, tous ses dédains de maîtrise. Pénétré de la supériorité de sa profession sur toutes les autres, il n’eût pas échangé l’épais tablier de cuir fauve qui lui descendait jusqu’aux chevilles, pour la simarre d’un magistrat ou le petit collet d’un abbé. Il y avait quelque chose de magistral dans son attitude et dans ses gestes lorsqu’il tournait et retournait le fer sur son enclume, présentant au marteau la partie à redresser, à amincir, à courber, à contourner avec une sûreté de main, une adresse qui n’avaient pas leur égale. Il haïssait les idées nouvelles ; les Montmorency, les Rohan de l’époque n’avaient point les mépris qu’il affectait pour une égalité qu’il traitait de chimérique, disant : qu’on aurait beau lui raccourcir les oreilles, d’un âne on ne ferait jamais un cheval. En dehors de ses manies, Mathurin Louschart, ou plutôt maître Mathurin, comme on l’appelait dans son quartier, était un brave homme, poussant la probité jusqu’au scrupule, fidèle observateur de sa parole, humain et serviable. C’était surtout vis-à-vis du fils unique que madame Louschart, en mourant, lui avait laissé, qu’il abdiquait le plus volontiers ses grandeurs, et que son cœur s’humanisait dans la plus paternelle des tendresses.
Maître Mathurin adorait ce fils, et vraiment l’exagération de ses sentiments se concevait, car en outre du sentiment qui leur donnait naissance, Louis Louschart devait flatter singulièrement les vices favoris du bonhomme, sa vanité et son orgueil.
Louis Louschart était beau, non pas de la beauté de convention du petit-maître, mais de cette beauté mâle et sévère que rehaussent les nobles
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