Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
que c’était une résistance. Les jugés furent applaudis, écrit M. le baron de Besenval, et tellement accueillis qu’ils eurent peine à se frayer un passage à travers la foule.
Madame de la Motte avait été laissée dans l’ignorance des dispositions du jugement à son égard.
Comme le Parlement entrait en vacances le lendemain du jour où l’arrêt avait été rendu, il ne fut pas possible de le rédiger, et son exécution se trouva différée. Dans la disposition où étaient les esprits, ce retard donna prétexte à mille propos qui n’étaient pas à l’avantage de la Cour.
Après la rentrée du Parlement, le jugement ayant été enfin libellé dut être signifié à l’accusée.
Pendant le cours du procès, madame de la Motte, tant dans les interrogatoires que dans les confrontations, avait montré un caractère si emporté, tant de violence dans ses réponses, ses actions, ses récriminations, que l’on redoutait l’exaltation de cette furie, et les propos que, dans son délire, elle pouvait laisser échapper.
Le 21 juin, M. de Fleury manda l’exécuteur des hautes œuvres au Palais, le prévint des dispositions de la condamnée, des appréhensions que l’on avait à son égard, et lui enjoignit d’avoir à s’arranger de façon à éviter le scandale.
Un magistrat qui se trouvait là proposa de bâillonner madame de la Motte comme on avait fait pour M. de Lally, mais Charles-Henry Sanson répondit que le remède serait pire que le mal, et que la pitié dont le vieux général avait reçu tant de témoignages, se trouverait bien plus vivement surexcitée si une femme était l’objet de semblables violences. Il fut donc décidé que l’on concilierait les prescriptions de l’humanité avec les rigueurs de l’arrêt, mais que l’exécution aurait lieu dans la cour de la Conciergerie.
Charles-Henry Sanson pria le procureur général de lui laisser la direction de cette affaire, dans laquelle l’adresse était bien plus nécessaire que la force, et, en raison de la responsabilité qu’il encourait, cette requête lui fut accordée.
Il s’enquit auprès du geôlier des habitudes de madame de la Motte, et il apprit de lui qu’elle témoignait beaucoup d’intérêt à sa femme, qui la servait dans sa prison.
Suivant les injonctions de l’exécuteur, cette femme entra donc le lendemain matin dans la chambre de la condamnée et lui dit que quelqu’un la demandait au Palais.
Madame de la Motte était couchée ; elle se retourna du côté du mur en répondant :
— Qu’on revienne ; je n’ai pas reposé de la nuit, je veux dormir la grasse matinée.
La femme du geôlier lui dit alors que si elle savait qui avait obtenu la permission de lui parler, elle ne marchanderait pas son sommeil, que c’était son conseil qui, depuis quelque temps, ne pouvait plus la visiter.
A cette nouvelle, madame de la Motte se jeta en bas de son lit et s’habilla très à la hâte.
Au moment où elle sortait de sa chambre, un des aides, qui se tenait caché derrière la porte, lui saisit le bras et le plaça sous le sien, en lui maintenant fortement le poignet ; un autre en fit autant ; mais avec une vigueur à laquelle ils étaient loin de s’attendre, madame de la Motte s’arracha de leurs mains et se rejeta brusquement en arrière pour rentrer dans sa chambre.
Charles-Henry, qui s’était avancé, en avait déjà fermé la porte, et il se tenait adossé contre cette porte.
Madame de la Motte s’arrêta devant lui et le regarda fixement et avec des yeux étincelants.
« C’était, dit mon grand-père, une femme de taille médiocre, mais très bien prise ; elle était plutôt grasse que maigre. Son visage était assez agréable pour que l’on ne s’aperçût pas tout de suite de l’irrégularité de ses traits ; sa physionomie mobile était pleine de charmes ; ce n’était que par l’analyse que l’on remarquait que son nez finissait en pointe aiguë comme celui d’une belette, que sa bouche si expressive était trop grande, que ses yeux, dont l’éclat avait surpris, étaient trop petits. Ce qu’elle avait de plus remarquable était l’exubérance de sa chevelure, la blancheur de sa peau, la finesse et la délicatesse de ses extrémités. Elle était vêtue d’un déshabillé de soie à raies brunes et blanches chargées de petits bouquets de roses. Elle était coiffée d’un bonnet de dentelles que l’abondance de ses cheveux rejetait fortement en
Weitere Kostenlose Bücher