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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
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celle qui avait été la sienne et que ses pères avaient exercée avant lui.
    — Depuis que le monde est monde, disait-il, les Louschart sont maréchaux-ferrants ; lorsqu’un d’entre eux se fera marchand de drap ou notaire, c’est que le jour de la vallée de Josaphat sera proche.
    Quitter les tranquilles études, les douces camaraderies du collège, ces préludes à la vie élégante et facile, pour endosser la veste de bure et le tablier de cuir, pour manier et tordre le fer brûlant, pour respirer les vapeurs embrasées de la forge, pour vivre dans ce milieu dont les travaux et les joies affectaient une grossièreté qui répugnait aux habitudes qu’il avait prises, cela avait certainement semblé bien dur à l’élève du collège du Plessis ; mais il était habitué dès l’enfance à une soumission aveugle aux volontés paternelles ; et puis la joie avec laquelle maître Mathurin s’applaudissait de s’être ménagé un successeur si savant, était tellement sincère, il y avait tant de conviction dans l’enthousiasme avec lequel il entreprenait le panégyrique d’une profession dont, disait-il, on avait pris le nom pour honorer le plus haut grade de la hiérarchie militaire, que, dans sa crainte d’affliger le bonhomme, Jean-Louis n’avait pas laissé percer la plus imperceptible de ses répugnances.
    Tant que le jour durait, il battait le fer, il pratiquait des étampures, il promenait la cisaille et la râpe sur la corne des quadrupèdes, puis il s’asseyait à la droite de son père, à la table où celui-ci présidait patriarcalement au souper des compagnons, ne se montrant ni plus gai, ni plus triste que les autres, réprimant un peu sa répugnance à faire honneur aux rasades qui, selon maître Mathurin, étaient nécessaires pour réparer l’évaporation et l’humidité interne qu’avait produit le feu de la forge ; mais aussitôt qu’il pouvait s’échapper, il se réfugiait dans sa chambrette, il effaçait les stigmates de ses rudes travaux, prenait avec un religieux attendrissement un des livres épars sur une tablette, et il passait une partie de la nuit en tête à tête avec ces amis de son enfance, qui seuls avaient le secret de reposer son âme et d’adoucir les tristes comparaisons qu’il faisait entre le présent et le passé.
    Bien que maître Mathurin assurât que la science ne pouvait rien gâter, ne devait avoir que de bienfaisants résultats dans un maréchal-ferrant, ce fut cette soif de s’instruire, cette ardeur de la lecture qui altéra les excellents rapports qui avaient jusque-là existé entre le père et le fils.
    Tant que le fils, en cédant au besoin d’épanchement qui consume tous les jeunes savants, se borna à fournir à son père des échantillons de ses classiques grecs ou latins, tout alla bien.
    Il était même un vers, fameux par son harmonie imitative :
    Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum,  
    que le bon homme aimait à lui entendre répéter, et qui lui faisait dire que ce monsieur Virgile pouvait ne pas savoir rabattre convenablement ses rivets ou contourner agréablement son biseau, mais qu’à coup sûr ce n’était pas un sot, car il avait compris qu’il n’est pas de plus douce musique que celle de quatre bons fers sur le pavé du roi.  
    Malheureusement on ne s’arrête jamais à la première bouchée après avoir mordu au fruit de l’arbre du savoir ; saturé des anciens, le jeune homme voulut faire la connaissance des modernes, et ces modernes, qui étaient désignés à sa curiosité, autant par l’admiration des uns que par l’animadversion des autres, s’appelaient Voltaire, Rousseau, Montesquieu et Diderot.
    Plus malheureusement encore, il ne réfléchit pas que les opinions philosophiques qui le séduisirent immédiatement, allaient se trouver en contradiction flagrante avec les principes dont le vieux maréchal-ferrant proclamait l’excellence avec non moins d’autorité que ces rois de la littérature du XVIII e siècle dans leurs écrits. Dans son juvénile enthousiasme, il ne fut pas plus sobre de paradoxes encyclopédistes qu’il ne l’avait été de citations virgiliennes, et, dès le premier pas qu’il avança, la physionomie béate et admirative avec laquelle maître Mathurin l’écoutait d’ordinaire, subit une modification singulière  
    La malencontreuse phrase que Jean-Louis venait de laisser tomber de ses lèvres fit au vieil artisan l’effet d’une des trompettes, du jugement

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