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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
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arrière. »
    Pendant qu’elle considérait Charles-Henry avec la menaçante expression d’une lionne qui va s’élancer, les autres aides et quatre exempts l’avaient entourée ; elle parut calculer mentalement la disproportion de la lutte qu’il lui fallait subir, ses narines se dilatèrent, elle respira avec effort, et s’adressant à mon grand-père qui avait ôté son chapeau :
    — Que voulez-vous de moi ? lui demanda- t-elle.  
    — Que vous entendiez votre jugement, madame, répondit l’exécuteur.
    On vit un frisson courir sur le corps de madame de la Motte, ses doigts crispés tourmentaient machinalement le large ruban qui servait de ceinture à sa redingote ; elle demeura un instant pensive et les yeux baissés, puis relevant la tête :
    — Eh bien ! allons, dit-elle.  
    Les deux aides qui lui avaient saisi le bras s’approchèrent, mais elle les repoussa avec le geste dédaigneux d’une grande dame et se mit à marcher devant eux.
    Lorsqu’on fut arrivé dans la chambre où la commission parlementaire se trouvait réunie, le greffier commença la lecture de l’arrêt.
    Aux premiers mots qui proclamaient sa culpabilité, la violence des sensations qui agitaient madame de la Motte se refléta sur sa physionomie. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, ses dents mordaient ses lèvres crispées et y laissaient des traces sanguinolentes ; il ne restait rien des traits de la femme, tout à l’heure si séduisante, que le masque d’une furie.
    Charles-Henry Sanson, pressentant l’orage, s’était rapproché d’elle, et bien lui en prit, car au moment où le greffier arrivait aux dispositions pénales, la rage de la malheureuse éclata avec une impétuosité que l’on n’avait pas prévue. Elle se renversa si brusquement en arrière que, si mon grand-père n’eût pas été là pour la soutenir, elle se fût brisé la tête sur les dalles. Elle se roula sur le carreau en proie à des convulsions affreuses, poussant des hurlements de bête fauve.
    Il fallut cinq hommes pour la contenir, et, bien qu’ils fussent des plus robustes, leurs efforts réunis ne parvenaient qu’à l’empêcher de se blesser ou de se tuer dans ses transports.
    On dut renoncer à achever la lecture de l’arrêt.
    Ses forces semblaient s’alimenter dans le sentiment qui l’inspirait ; loin d’être épuisées, elles lui permirent de soutenir une véritable lutte contre les aides lorsqu’ils essayèrent de la lier. Il ne fallut pas moins de dix minutes pour triompher de la résistance surhumaine qu’elle opposait.
    Enfin on parvint à l’emporter, et on la descendit dans la grande cour du Palais.
    L’échafaud était dressé dans cette cour, et précisément sous la grille, qui était grande ouverte. Mais il était six heures du matin, et les curieux n’étaient pas nombreux.
    Lorsqu’elle eut été étendue sur la plate-forme, la fustigation commença, et, tant qu’elle dura, ses cris ne cessèrent pas de retentir plus furieux. Ses imprécations s’adressaient surtout au cardinal de Rohan, qu’elle accusait de son malheur et auquel elle prodiguait les épithètes les plus outrageantes ; on l’entendit aussi murmurer : « C’est bien ma faute si j’éprouve cette ignominie ; je n’avais qu’un mot à dire, et j’étais pendue . »
    Elle reçut douze coups de verges.
    Jusqu’alors, dans toute l’explosion de cet incroyable désespoir, on n’avait pas vu une larme s’échapper de ses yeux. Lorsqu’on l’eut relevée, elle pleura abondamment, et ses pleurs, au lieu de ruisseler sur ses joues, jaillissaient de ses paupières et allaient tomber sur sa poitrine comme s’ils eussent été projetés par une puissante contraction des nerfs.
    Peut-être l’accès de sa fureur avait-il déterminé une prostration absolue ; peut-être n’avait-elle pas entendu les dernières dispositions du jugement ; toujours est-il que, lorsqu’on l’eut assise sur la plate-forme, elle resta pendant quelques instants muette, immobile et comme anéantie.
    Charles-Henry Sanson crut devoir en profiter pour exécuter les dernières prescriptions de l’arrêt. Sa robe avait été déchirée dans les assauts qu’elle avait livrés, et son épaule était découverte. Il prit un fer dans le réchaud, et s’approchant d’elle, il le lui imprima sur la peau.  
    Madame de la Motte poussa un cri de hyène blessée et, se renversant sur un des aides qui la tenaient, elle le mordit à la main avec tant de

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