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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
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une certaine sensibilité dans les sentiments de la vie privée. Soit qu’il fût utile à la terrible mission qu’ils remplissaient de démontrer qu’ils n’avaient pas cessé d’être hommes par le c œ ur, soit qu’ils cédassent à la loi impérieuse des réactions, ils employaient volontiers les moments de calme que leur laissaient les accès de la fièvre révolutionnaire, à s’enivrer des jouissances les plus pures et les plus naïves. Les uns allaient jusqu’à la pastorale ; d’autres redevenaient simplement de braves gens.
    Lecointre était un de ces derniers.
    Il s’attendrit au récit de son employé, et ses paupières s’humectèrent ; il essaya de le consoler, ne laissa pas échapper cette occasion de tonner contre toutes les tyrannies, qualifia fort sévèrement le sot entêtement du vieil artisan aristocrate ; puis, voyant que plus il devenait éloquent, plus les pleurs du jeune homme coulaient abondants et pressés, il revint bien vite à l’impétuosité qui lui était familière. D’un ton qui n’admettait pas de réplique, il déclara au jeune hommes que ses larmes offensaient son patriotisme ; que, dans les circonstances qui se préparaient, tout homme de cœur devait se trouver trop heureux d’avoir à offrir un bras libre au service de la patrie ; que celle qu’il regrettait si amèrement prouvait, par la préférence qu’elle donnait au père sur le fils, qu’elle était indigne de son amour, et que, dès le lendemain, il lui fournirait le moyen de s’affranchir de cet amour en l’envoyant passer quelques mois en Flandre, pour négocier les achats de la maison.
    En vérité, Jean-Louis trouvait le remède pire que le mal, et cette perspective d’un départ immédiat lui causait Un tel effroi qu’il ne songea pas à remercier son patron du témoignage de sollicitude qu’il recevait de lui.
    La lâcheté est inhérente à l’amour.
    La douleur de Jean-Louis était trop aiguë pour qu’il eût songé à la reconnaître par l’analyse. — Il avait cependant vaguement entrevu l’horreur de la rivalité que lui créait sa passion pour Hélène. Dans le trouble que lui causait cette pensée, il avait instinctivement devancé son patron en acceptant la fuite comme suprême ressource. Mais maintenant une appréhension égoïste et mesquine avait raison de ses terreurs premières. Etre loin d’Hélène, lui apparaissait comme un malheur bien plus grand encore que de la voir devenir la femme du seul homme dont il n’eût pas le droit d’être jaloux. Sa conscience se sentait vaguement prête à entrer en composition, et à sacrifier ses scrupules au besoin de l’apercevoir de loin en loin.
    Heureusement, comme nombre de démocrates très sincères, Lecointre était très absolu dans son gouvernement domestique ; il avait parlé, et chercher à combattre une résolution dictée par l’intérêt que lui inspirait son employé, équivalait à une demande de congé immédiat. Jean-Louis le comprit et, surmontant son chagrin, il ne s’occupa plus que des préparatifs de son départ.
    A neuf heures du soir, il quitta M. Lecointre qui venait de lui donner ses dernières instructions ; mais il ne resta pas chez lui.
    Vers dix heures, un ancien ouvrier de son père, nommé Perlet, qui regagnait son domicile, l’aperçut, caché derrière l’auvent de la boutique d’une fruitière qui faisait face à la maison du vieux maréchal-ferrant. Perlet l’aborda et lui parla. Jean-Louis Louschart, dit celui-ci dans sa déposition, paraissait embarrassé, inquiet, comme l’est quelqu’un dont on dérange le galant rendez-vous. Il ne voulut pas être indiscret, et quitta presque aussitôt le fils de son ancien maître.
    Jean-Louis n’attendait cependant personne. Ne pouvant dire adieu à Hélène, il avait voulu s’enivrer de la seule consolation qui lui fût permise, celle de considérer une fois encore les murailles noircies et lézardées de la maison où sa mère était morte, qui avait abrité son enfance et ses amours, où celle qu’il aimait allait vivre. Peut-être aussi avait-il espéré entrevoir la silhouette d’Hélène se dessinant à la clarté de la lampe sur les rideaux de la chambre, mais ce bonheur lui fut refusé : tout le monde paraissait reposer dans la maison paternelle ; les fenêtres closes se dessinaient en noir sur la sombre façade, et nulle lueur ne vint les illuminer.
    Jean-Louis resta jusqu’à minuit. — Il devait se mettre en route à

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