Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
quatre heures du matin ; il réfléchit qu’il était temps de regagner son domicile.
Au moment où il entrait dans la rue de l’Orangerie, il entrevit, dans l’ombre, la forme d’une femme qui se tenait appuyée contre la haute borne placée à l’angle que forme cette rue en se croisant avec la rue Satory. A son approche, cette femme se leva ; elle parut hésiter une seconde, puis s’élança à sa rencontre en l’appelant à son aide.
Jean-Louis avait déjà reconnu Hélène.
Par un mouvement dont il ne fut pas le maître, il la reçut dans ses bras, il la pressa sur son cœur ; mais presque aussitôt songeant que le choix de son père faisait cette jeune fille sacrée pour lui, il la repoussa et lui demanda comment elle était hors de chez elle à une heure aussi avancée de la nuit.
Hélène tremblait et balbutiait. Elle essaya de répondre, mais sa voix s’éteignit dans les sanglots ; elle se cacha le visage entre ses mains, et ce ne fut que lorsque Jean-Louis lui eut adressé de vives instances qu’elle se décida à parler, à lui raconter comment, en entendant la conversation qu’il avait eue avec sa mère, elle avait compris à son tour que cette union était le plus grand bonheur qu’elle pût espérer sur la terre ; comment, après son départ, elle était sortie de sa chambre pour se jeter aux genoux de la veuve et essayer de la fléchir ; comment celle-ci lui avait répondu qu’entre le fils, qui serait pauvre, et le père, qui était riche et qui demandait aussi à la prendre pour femme, on ne pouvait pas hésiter. Elle lui avoua que la Verdier avait enfin opposé les injonctions, les menaces et jusqu’aux mauvais traitements à des supplications bien souvent renouvelées, et qu’alors, perdant la tète, elle s’était décidée à fuir, à venir demander du secours à celui qu’elle aimait pour se soustraire à une union qui consommerait leur malheur à tous les deux.
L’accusation prétendit vainement que les relations des deux amants étaient loin d’être pures ; que leur rencontre n’avait pas été fortuite, que ce n’était là qu’un rendez-vous qui succédait à d’autres rendez-vous. L’interrogatoire de Jean-Louis Louschart, dans lequel j’ai puisé les détails de son entrevue avec Hélène, fut pleinement confirmé par les affirmations minutieuses de la jeune fille.
Ce qui ne se trouve pas dans cet interrogatoire, ce à quoi je dois suppléer dans mon récit, c’est l’exposition des manœuvres qui avaient amené maître Mathurin à devenir le rival de son fils.
Ce mariage était l’œuvre de la Verdier.
Elle avait pressenti tout le parti qu’elle pouvait tirer de la discorde du père et du fils ; ses excitations n’avaient pas été étrangères à la violente résolution de celui-là. Elle ne songeait tout d’abord qu’à se ménager une meilleure existence en prenant la place que le départ de Jean-Louis faisait libre, et, dans ce but, elle avait achevé de capter la confiance du bonhomme en flattant ses passions et son orgueil. Mais celui-ci, lui ayant avoué qu’il ne voyait pas d’autre moyen pour punir un fils ingrat que de se chercher de nouveaux héritiers dans un second mariage, la crainte de perdre le fruit de son œuvre ténébreuse lui avait inspiré, premièrement, l’idée de s’offrir elle-même, puis ensuite, après réflexion sage, d’accaparer ce prétendant en cheveux blancs au profit de sa fille. Elle avait été assez adroite pour amener le vieux maréchal-ferrant à souhaiter de lui-même cette étrange union. Une fois qu’elle avait décidé, elle avait confirmé le bonhomme dans sa résolution en lui donnant à soupçonner l’amour de Jean-Louis pour Hélène, sans lui avouer toutefois la démarche que celui-ci avait hasardée, et de façon seulement à ce que le vieillard fût dûment convaincu que de tous les mariages qu’il pouvait faire, aucun ne serait aussi désagréable à son fils.
Quant aux révoltes du cœur d’Hélène, quant à son désespoir, c’était ce dont se souciait le moins la Verdier.
X - L’AUTO-DA-FÉ
suite
J’ai avancé que la lâcheté était inhérente à l’amour ; je dois ajouter qu’un cœur amoureux est en même temps et presque également accessible aux défaillances les plus vulgaires et à l’héroïsme le plus absolu. Ce n’est pas à moi qu’il appartient d’expliquer ce contraste.
Quelques heures auparavant, Jean-Louis Louschart avait faibli à la
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