Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
confesser, Charles-Henry Sanson était, ou du moins voulait paraître convaincu de la légitimité de ses fonctions et de l’injustice du préjugé qui les chargeait d’opprobre. Il poursuivait donc avec l’énergie et la ténacité qui lui étaient propres tout ce qui pouvait concourir, à leur réhabilitation.
Le grand mouvement de 1789, qui démolissait tant d’abus, lui parut une occasion propice pour livrer un nouvel assaut à celui dont il se croyait victime, et de même qu’en 1776 il avait mis à profit la circonstance du procès avec la marquise pour réclamer devant le Parlement le privilège de la noblesse, transmissible comme officier en chef près d’une Cour souveraine, de même, quand l’Assemblée nationale s’occupa de fixer la condition des citoyens appelés à jouir des droits politiques, il s’empressa de revendiquer pour lui et ses confrères, ce titre de citoyen actif qui devenait le premier à envier pour un homme libre.
L’Assemblée nationale rendit, dans sa séance du 24 décembre 1789 un décret, qui, pour statuer sur la capacité civique, semblait s’être placé surtout au point de vue de la question religieuse, car il stipulait particulièrement, en faveur des non-catholiques, le droit d’élection et d’éligibilité, ainsi que l’admissibilité à tous les emplois civils et militaires. La dernière disposition seule paraissait entrer dans une voie plus large ; elle décrétait au surplus qu’il ne pourrait être opposé à l’éligibilité d’AUCUN CITOYEN d’autres motifs d’exclusion que ceux qui résultent des décrets constitutionnels.
C’était reconnaître implicitement la prétention de mon grand-père, car il n’y avait point de décret constitutionnel qui le frappât d’exclusion. Tout autre que lui n’aurait pas ambitionné d’autre victoire ; on verra par un chapitre suivant qu’il n’en fut pas ainsi, et qu’il s’obstina à poursuivre une réhabilitation plus éclatante.
Mais avant d’en venir là j’ai à raconter une affaire toute particulière qui eut lieu peu de jours après la délibération et le décret de l’Assemblée. J’ai dit plus haut que la maison de la rue Neuve-Saint-Jean comprenait plusieurs corps de bâtiments séparés ; je dois ajouter que n’ayant pas l’emploi de tous, mon grand-père s’était décidé à en louer une partie. Au nombre de ses locataires se trouvait un sieur Rozé, imprimeur national, qui publiait divers écrits sur les questions du temps. On sait quel était alors l’effervescence des esprits. Rozé appartenait à ce parti modéré qui n’ambitionnait que la monarchie constitutionnelle, des réformes graduelles et un mouvement progressif accompli sans secousses. Il n’en fallait pas davantage pour l’exposer aux attaques violentes des démagogues, qui, s’ils cachaient encore leurs projets subversifs, n’en avaient pas moins déjà l’arrière-pensée et laissaient quelquefois, malgré eux, passer le bout de l’oreille. Rozé, très caustique, ripostait de son mieux à ces attaques, et de là des polémiques qui ne tardèrent point à attirer sur lui l’animosité de ses adversaires, d’autant plus redoutables qu’ils faisaient appel aux passions des masses turbulentes.
Ce fut tout à coup comme un toile général contre l’imprimerie de Rozé dans tous les recueils périodiques d’opinions différentes ; mais ce qu’il y eut de particulier, c’est que, par un raffinement de perfidie, ces recueils affectaient de ne point parler de Rozé et de prendre mon grand-père à partie comme s’il eût été le chef de cet établissement typographique. Ils voulurent sans doute, par cette tactique, combattre la prétention qu’il venait d’élever devant l’Assemblée nationale.
Je ne saurais mieux faire connaître ce complot qu’en donnant quelques extraits du langage tenu par ces journaux.
Révolutions de Paris , par PRUDHOMME. N° 23, page 27 :
On vient de découvrir que les aristocrates ont des presses privées à leur usage. On ne croira jamais où ils les avaient établies !… Chez Sanson, bourreau de Paris. Le district des Capucins de la chaussée d’Antin y a fait une descente, et il les a trouvées occupées à travailler pour l’aristocratie. Jugez, citoyens, par les relations qu’ont déjà les aristocrates avec l’honnête M. Sanson, le parti qu’ils tireraient de ses services et de ses talents, s’ils étaient les plus forts.
Les presses
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