Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
de dix-huit ans lorsque ma pauvre grand’mère est morte, je me rappelle encore, aussi parfaitement que si c’était d’hier, l’avoir vue, octogénaire, continuer à remplir ce saint devoir.
Pendant la tourmente révolutionnaire, mal gré le danger de pareilles manifestations, elles ne furent pas interrompues. Les temples étaient fermés ; mais quelques prêtres, cachés dans un réduit obscur, élevaient aussi vers Dieu leurs voix suppliantes. La France ne priait plus que par les lèvres des proscrits et des bourreaux.
Je n’ai point la prétention de récrire l’histoire de cette époque mémorable, qui a trouvé un grand nombre d’historiens plus éclairés et plus compétents. Je n’aurai à lui apporter mon grain de sable que lorsque cette histoire, malheureusement, viendra, pour ainsi dire, se résumer dans celle des sanglantes attributions de mon aïeul.
Dans l’affaire de Jean Louschart, la nature même de mon récit m’a conduit à donner un aperçu de la situation des esprits aux approches de cette convocation des États généraux dont devait jaillir la Révolution. Mais il n’en est pas de même des événements considérables qui suivirent. Comme ils ne se rattachent par aucun lien à mon sujet, on me permettra de les passer sous silence. Ils sont, du reste, assez connus des lecteurs pour que je ne puisse en reparler sans afficher des prétentions pédantesques que je suis bien loin d’avoir.
Charles-Henry Sanson avait suivi, avec cette puissance de méditation qu’on acquiert dans la retraite, tous les progrès de la Révolution : les luttes de la cour contre les Parlements ; le Lit-de-Justice, les assemblées des notables, tous les expédients de la monarchie aux abois lui avaient clairement révélé le péril de la situation. La réunions des trois ordres en assemblée nationale ne lui laissa plus aucun doute que la société tout entière ne fût à la veille de se transformer.
Je laisserais peser un doute fâcheux sur sa mémoire, si j’omettais de dire ici qu’il avait adopté avec enthousiasme les idées nouvelles. Sur quelles âmes les théories de progrès et d’émancipation exerceraient-elles plus d’empire que sur celles des malheureux qui se croient victimes de l’oppression et des préjugés. Mais je dois ajouter que, malgré son admiration pour les principes de 1789 dans lesquels il pressentait bien l’évangile politique de l’avenir ; malgré son dévouement au nouvel ordre de choses qui paraissait devoir en découler, il n’en restait pas moins profondément attaché à la monarchie et à la personne du roi dont les sentiments droits et les intentions honnêtes, si clairement manifestés au commencement de son règne, avaient gagné bien des cœurs. Il appartenait enfin à ce parti si nombreux qui bornait alors tous ses vœux à l’établissement d’une royauté constitutionnelle et se laissa malheureusement déborder par les fanatiques et les fauteurs d’anarchie.
Avant leur terrible rencontre sur l’échafaud, mon grand-père avait eu deux fois l’honneur d’approcher la personne de Louis XVI. La première : ce fut au commencement de cette même année 1789. La pénurie du Trésor avait encore suspendu depuis longtemps le payement des sommes dues à Charles-Henry Sanson qui, épuisé par les dépenses de la licitation de la succession paternelle, se trouvait aux prises avec de sérieuses difficultés et grevé de dettes considérables. Il représenta au roi cette situation fâcheuse dans un placet et quelques jours après fut mandé à Versailles. Louis XVI le reçut dans ses petits appartements et ne l’entretint que peu de temps. Les moindres détails de cette entrevue sont restés gravés dans le souvenir, de mon aïeul et il les a transmis à ses descendants.
Le roi était debout dans l’embrasure d’une croisée qui donnait sur le parc ; il tournait le dos à moitié et jetait de temps à autre un regard, qu’il s’efforçait de rendre distrait, sur la terrasse. Charles-Henry Sanson, subissant le prestige de la majesté royale, n’avait pas osé pénétrer bien avant dans cette grande pièce toute revêtue de dorures, de marbres et de cristaux ; il se tenait presque sur le seuil, de sorte qu’ils échangèrent les quelques paroles qu’ils se dirent à une grande distance l’un de l’autre, bien que le bruit de leur voix s’amortit encore sur les épais tapis. Certes, si un observateur eût assisté à ce colloque et
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