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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
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qu’il lui eût été demandé lequel de ces deux hommes, à quatre ans de là, porterait une main meurtrière sur l’autre, il eût répondu sans hésiter que ce serait le souverain puissant qui commandait à vingt-cinq millions de sujets et qui, las ou mécontent des offices de son bourreau, se passerait un caprice royal en lui faisant subir la peine du talion et périr à son tour des  supplices qu’il avait si longtemps infligés. Il devait en être bien autrement, et ce n’est qu’un jeu ordinaire des révolutions de faire les bourreaux rois et de leur jeter en pâture toutes les grandeurs qui jusque-là avaient ébloui le monde. Louis XVI portait ce soir-là un habit de taffetas lilas, brodé d’or, sur lequel brillait la plaque du Saint-Esprit, une culotte courte, des bas de soie et des souliers à boucles ; le cordon bleu et le cordon rouge de Saint-Louis traversaient son gilet de satin blanc, broché d’or, et formaient par hasard cet assemblage de couleurs qui devait être le signal de tant de calamités pour lui et les siens. Un jabot de dentelle, en forme de rabat, pendait à sa cravate molle et lâchée qui laissait voir les muscles saillants de son cou. Le roi était d’une stature vigoureuse mais commune. Il n’avait de vraiment aristocratique que sa jambe nerveuse et finement modelée. Ses cheveux poudrés et bouclés formaient deux rouleaux sur les tempes et étaient rattachés sur la nuque par une queue comme celles que l’on portait alors.
    — Vous avez adressé une réclamation pour des sommes qui vous sont dues, dit-il sans détourner la tête et sans regarder mon grand-père. J’ai ordonné que vos comptes fussent vérifiée et qu’on ne mît aucun retard à en ordonnancer le payement ; mais les coffres de l’État sont presque épuisés en ce moment, et vous réclamez, je crois, cent trente-six mille livres ; ce qui est une somme assez considérable.
    — Je remercie avec autant de reconnaissance que de respect  Votre Majesté de sa bonté, répliqua Charles-Henry Sanson ; mais je la supplie humblement de vouloir bien me permettre de lui faire observer que le chiffre de mes dettes s’est tellement accru que mes créanciers n’ont plus aucune patience et que ma liberté même se trouve menacée.
    A ces mots, le roi se retourna et échangea un rapide regard avec mon aïeul. L’attitude presque prosternée de ce dernier ne permettait guère de mettre en doute sa sincérité ni les sentiments qui l’animaient. Pourtant à la vue de son interlocuteur, Louis XVI ne put réprimer un tressaillement involontaire. Etait-ce pressentiment ou l’horreur que notre profession inspire ? Cette dernière hypothèse me paraît la plus probable.
    — Attendez, dit-il, on va mettre ordre à cela.  
    Puis il agita une sonnette qui se trouvait à sa portée. Un gentilhomme parut :
    — Monsieur de Villedeuil, lui dit le roi, veuillez faire quérir un sauf-conduit et le remplir aux noms que je vais vous dire.  
    Quand, le papier fut arrivé, le roi qui avait une excellente mémoire, dicta lui-même les noms de mon aïeul qu’il n’avait vus sans doute qu’au bas du placet.
    Ce curieux sauf-conduit que je possède encore est ainsi conçu :
    De par le Roy,
    Sa Majesté voulant donner au sieur Charles-Henry Sanson le moyen de vaquer à ses affaires, lui a accordé sauf-conduit de sa personne pendant trois mois, pendant lesquels Sa Majesté fait défense à ses créanciers d’exercer contre lui aucune contrainte ; à tous huissiers, sergents ou autres de l’arrêter ni inquiéter ; et à tous concierges, et geôliers des prisons de l’y recevoir, à peine de désobéissance, d’interdiction de leurs charges et de tous dépens, dommages et intérêts ; et si, au préjudice desdites défenses, il était emprisonné, veut Sa Majesté qu’il soit sur-le-champ élargi ; quoi faisant tous concierges et geôliers en demeureront bien valablement quittes et déchargés. Veut aussi, Sa Majesté, que le présent sauf-conduit ne puisse avoir d’effet qu’après avoir été signifié au bureau des gardes du commerce.
    Donné à Versailles, le dix-neuf avril mil sept cent quatre- vingt-neuf.
    LOUIS.
    Laurent de Villedeuil.
     
    Quand les noms furent écrits, le roi signa, puis remit le papier à mon grand-père qui ne le prit qu’en fléchissant respectueusement le genou. Sa liberté venait d’être sauvegardée par celui à qui il devait ôter la vie.
    Comme il se retirait du palais, une

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