Métronome
des mauvais sujets, au loyalisme douteux, qui plus est dangereux pour l’ordre social, car ils refusent la religion officielle et ne reconnaissent que Jésus fils de Dieu.
Le préfet Fesceninus est prêt à sévir avec rigueur, mais tient aussi à faire preuve de magnanimité envers les repentis. Il donne donc le choix à ses prisonniers : la mort ou la soumission à l’empereur.
— Nul ne peut me soumettre à l’empereur, car le Christ règne, réplique Denis.
Langage ésotérique auquel Fesceninus ne comprend rien. Il convient de faire taire les délires de cet énergumène. Et pour lui apprendre à penser avec plus de justesse, ordre est donné de lui couper la tête.
Dans leur prison, en attendant l’exécution de cette sentence, Denis et ses deux condisciples poursuivent leur sacerdoce. Ils continuent tant bien que mal à prêcher le grand mystère de la Rédemption de l’Humanité et célèbrent conjointement une dernière messe derrière les barreaux de leur geôle.
Sans tarder, on tire les coupables de leur cellule, et on les traîne sur la plus haute colline qui domine Lutèce. Il faut que le supplice des condamnés soit vu de loin ! On dresse une croix sur laquelle on noue Denis, et on lui tranche la tête. Mais le corps sans vie est transfiguré par l’apparition du Sauveur, et le corps s’anime, et le corps se libère de ses liens, et le corps se met en marche… Denis prend sa tête entre ses mains, va la laver à une fontaine et redescend la colline de son martyre. Il marche deux lieues et demie et, enfin, confie sa propre tête à une bonne Romaine nommée Catulla. Là, il s’écroule. Respectueuse, Catulla enterre le pieux évêque à l’endroit même où il s’est effondré. Et sur cette sépulture un blé d’un blond unique pousse bientôt, comme un dernier miracle.
Qu’advint-il de la longue marche de saint Denis ?
La colline où saint Denis fut décapité prit tout naturellement le nom de Mont-des-Martyrs, qui donna notre Montmartre. Mais cette colline était sacrée depuis longtemps. Un temple dédié à Mercure y avait sans doute été édifié par les Romains. En 1133, Louis VI acquit le domaine de Montmartre et y fonda une abbaye bénédictine. L’actuelle église Saint-Pierre-de-Montmartre fut construite à la même période, ce qui en fait la plus vieille église de Paris. À l’intérieur ; vous remarquerez peut-être les quatre colonnes de marbré très abîmées, derniers vestiges du temple de Mercure qui, ici même il y a mille huit cents ans, fut témoin du supplice de saint Denis. L’abbaye fut saccagée pendant la Révolution et la dernière mère supérieure, âgée, sourde et aveugle, fut accusée d’avoir « comploté sourdement et aveuglément contre la République » !
Aujourd’hui, la pâtisserie blanche de la basilique du Sacré-Cœur rappelle la vocation religieuse de Montmartre. La première pierre de cet édifice fut posée en 1875 et l’on a dit que la basilique avait été édifiée « en expiation des crimes de la Commune ». Erreur. La décision de redonner à Montmartre une vocation religieuse avait déjà été prise sous Napoléon III.
Saint Denis, pour sa part, après avoir été « décollé » au niveau du 11, rue Yvonne-Le-Tac (où la chapelle du Martyrium indique l’endroit précis), quitta la butte Montmartre par la rue du Mont-Cenis. Il aurait fait un crochet par la rue de l’Abreuvoir pour laver sa tête à la fontaine du square Girardon, dont la statue rappelle l’événement. Puis il aurait récupéré la rue du Mont-Cenis où le promeneur peut voir au 63, à l’angle de la rue Marcadet, la tourelle d’une maison qui date du XV e siècle, la plus vieille bâtisse de Montmartre. Elle offre un peu plus d’authenticité que la pauvre place du Tertre qui devrait se trouver à Disneyland.
Saint Denis fit ainsi six kilomètres avec sa tête entre ses mains. Le lieu où il fut enterré est aujourd’hui la basilique Saint-Denis.
Autour de son tombeau, dont on peut encore admirer l’emplacement dans la crypte de la cathédrale, fut bâti un mausolée. Au VII e siècle, le roi Dagobert décida de fonder à cet endroit un monastère et de faire du mausolée du martyr un lieu de sépulture pour lui et sa famille. Saint-Denis devint ainsi la nécropole des rois de France.
Ah, le martyre de saint Denis ! Entre miracles, mythes et légendes, quel fut l’écho de cette vie hors du commun à Lutèce ? En fait, cet
Weitere Kostenlose Bücher