Métronome
événement passe sans doute totalement inaperçu. Les têtes tombent rapidement à l’époque et l’on ne s’émeut pas pour un événement aussi banal.
Les Lutéciens ont bien d’autres tracas. Leur ville qui, depuis plus d’un siècle, s’était installée douillettement dans sa placidité, connaît de terribles bouleversements.
Dans la Rome impériale, rien ne va plus. Et depuis longtemps. Les empereurs se succèdent, leurs partisans se déchirent et l’autorité passe de main en main au gré des victoires, des compromissions, des complots et des trahisons. Valérien a livré bataille en Mésopotamie, mais il a été battu et fait prisonnier par les Perses. Son triste sort ne chagrine personne. Nul à Rome n’a intérêt au retour de cet empereur déchu, alors on refuse de négocier avec l’ennemi, on laisse le captif croupir dans son cachot persan, où il finira par succomber au grand soulagement de tous. Belle affaire pour son fils Gallien, qui reste le seul empereur légitime…
Bref, Rome n’est plus Rome ! L’empereur n’est plus cet homme au-dessus des autres, à la fois adoré et craint. Il devient un sujet de complots, au centre de la corruption, au cœur de petites négociations. Cette dégradation des mœurs politiques et des mentalités dirigeantes est une catastrophe pour un immense empire qui a besoin de stabilité pour se maintenir. Face à cette débandade, le chaos n’est pas loin. L’empire se morcelle et les Barbares menacent. Ceux-ci le sentent, le savent : les Romains vacillent, il est temps de les écraser. Les Germains franchissent le Rhin, la Gaule devient pour eux un champ de rapines. L’ennemi pille les campagnes et s’en retourne chez lui, emportant ses riches butins.
Aux alentours de l’an 260, Marcus Cassianus Latinius Postumus est un brillant général romain d’origine gauloise. Lorsque les peuplades germaniques attaquent la Gaule romanisée, Gallien et Postumus se dressent pour les contenir. Chacun court sus à un ennemi différent. L’empereur s’attache à chasser les Alamans à l’est, le général repousse les Francs au nord.
Postumus se bat vaillamment pour chasser l’envahisseur, si vaillamment d’ailleurs que son prestige auprès des troupes monte au zénith : les légionnaires unanimes se déclarent prêts à proclamer leur général empereur ! Empereur, mais empereur de quoi ? De Rome ? De la Gaule ? Gallien, qui sent souffler le danger pour sa dynastie, donne aussitôt à son fils Salonin le titre envié d’Auguste : ce sera lui l’héritier, et personne d’autre. Ainsi espère-t-il modérer les ambitions de son général gaulois.
Mais les temps sont durs pour les fils d’empereur… Postumus, qui ne supporte pas l’idée de voir un jour l’autorité romaine confisquée par le terne Salonin, attaque Cologne, capture le nouvel Auguste et le fait proprement exécuter. Il ne lui reste plus qu’à se parer des insignes impériaux : ses soldats le déclarent empereur de la Gaule ! Son image devient familière à tous, son bon visage débonnaire, sa barbe foisonnante et sa couronne d’or ornent les pièces frappées pour maintenir l’économie de la contrée.
Aux yeux de Rome, Postumus n’est qu’un usurpateur, bien sûr, mais un usurpateur aux ambitions heureusement limitées. Il ne cherche pas à renverser l’empereur de Rome, ne franchit pas le Rubicon, n’essaye pas de se faire légitimer par le Sénat et ne remet pas fondamentalement en cause son appartenance à la « romanité ».
Mais enfin, il veut régner, même s’il évite de se parer trop ostensiblement du titre suprême et préfère se proclamer plus modestement « restaurateur des Gaules ». Pourtant, en unissant la Gaule sous son pouvoir, il creuse un fossé entre Gallo-romains et Romains. Pour la première fois depuis longtemps, les uns et les autres sont séparés politiquement et ne répondent pas de la même autorité.
Quant à Gallien, cette insubordination l’agace, mais il est trop accaparé par les Alamans, qui tentent de nouvelles incursions et qu’il faut sans cesse maintenir au-delà des frontières. Alors s’établit entre l’empereur de Rome et le restaurateur des Gaules un accord tacite dont chacun tire avantage : Postumus se charge de la défense du Rhin et obtient, en contrepartie, le contrôle de la Bretagne, de l’Espagne et la majeure partie de la Gaule.
Finalement, triste sort du premier des Gallo-romains, celui qui a surmonté
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