Métronome
nouvelle christique est remisée à des temps meilleurs. L’évêque croit se débarrasser de cet importun néophyte en lui assignant la mission de convertir les Gaulois… et qu’il se débrouille avec ça ! Car ces gens-là, c’est bien connu, se montrent rétifs à tout changement et s’accrochent obstinément à leurs vieilles idoles. Cette horrible réputation ne fait pas peur à Denis qui se montre disposé à surmonter toutes les difficultés, à abattre toutes les montagnes pour faire triompher le Christ Roi.
Avec deux compagnons, le prêtre Rusticus et le diacre Éleutherius, Denis fait son entrée dans Lutèce vers l’an 250. Les trois hommes pénètrent dans la ville par le cardo maximus et marchent jusqu’au forum. Ils sont effarés par ce qu’ils voient : un peuple livré aux plaisirs et aux faux dieux ! Tout ici révulse les austères chrétiens : les boutiques ouvertes à la vanité des femmes et les sacrifices offerts aux statues de pierre. Eux qui rêvent d’un Dieu de bonté et de justice dont le doux regard se penche avec sollicitude sur le désespoir de l’âme humaine ne comprennent pas comment on peut s’abandonner à ces vulgaires superstitions.
Alors ils s’éloignent de la ville et vont se perdre dans les vignes qui s’étendent au loin pour pratiquer et enseigner un culte que nul encore ne connaît. La dévotion de Denis attire à lui des petites foules qui se laissent convertir avec bonne volonté. Mais le danger guette, ici aussi les chrétiens sont persécutés. Du coup, pour se protéger, on entre un peu plus dans la clandestinité. On continue à évangéliser, mais dans le secret d’une carrière abandonnée, dans un couloir souterrain où l’on a extrait naguère la pierre qui a servi à la construction de Lutèce. Les chrétiens se cachent pour accomplir leurs cérémonies.
La première messe, furtive, est chantée dans un sanctuaire enseveli. La tradition lui a donné le nom de Notre-Dame-des-Champs, on aurait dû l’appeler Notre-Dame-des-Profondeurs… Dans cet espace improbable s’affermit la foi des premiers croyants, dans l’obscurité de cette cave devenue cathédrale se bâtit une partie de l’avenir du christianisme.
Autour de Denis sont regroupées, tremblantes, des familles gauloises et romaines résolues au baptême malgré les dangers. Enveloppé d’une obscurité trouée seulement par les flammes vacillantes de petites lampes à huile, Denis parle… Revêtu d’une aube blanche, les yeux étincelants qui paraissent percer la nuit, il évoque en termes vibrants Jérusalem et le Golgotha. Et la grande croix de bois sombre devinée dans les ténèbres pare le récit d’une vérité tangible et dramatique.
Qu’est devenue la première cathédrale de Paris ?
Puisque saint Denis fut le premier évêque de Paris, l’église clandestine dans laquelle il catéchisa fut bien la première cathédrale. Pour retrouver l’endroit au sortir du métro, il faut remonter la rue Notre-Dame-des-Champs, la clé de l’énigme est au bout… Après avoir traversé le boulevard Saint-Michel, on pénètre dans la rue Pierre-Nicole, une petite voie droite qui semble assoupie dans un sommeil provincial. Serré contre les murs de briques d’un collège, se dresse un immeuble de bois et de dalles qui fleure bon l’architecture moderniste des années soixante.
Mario, le sympathique gardien, voudrait bien laisser entrer l’historien égaré. Mais on lui a assuré que des problèmes de sécurité obligeaient à fermer les lieux… Finalement, en insistant un peu, et par la grâce aussi d’une copropriétaire compréhensive, j’ai pu visiter les sous-sols…
Un ascenseur, un parking où les voitures sont bien garées dans des petites cases régulières dessinées à la peinture blanche, et soudain une porte discrète… Cet obstacle franchi, on entre dans le passé. Un escalier noir glisse par degrés dans les profondeurs de l’antique carrière. En descendant les marches, on croit remonter les siècles ! Les voûtes ont été stabilisées et restaurées au XIX e siècle, mais ailleurs surgissent de plus anciens témoignages. Sous une pierre tombale dort saint Reginald, mort en 1220, dont on dit qu’une apparition de la Vierge décida de sa vocation sacerdotale. La longue nef se prolonge jusqu’à l’autel sur lequel trône la statue de saint Denis. Des siècles de dévotion ont ici révéré le souvenir de celui qui, jadis, prêcha en ce lieu.
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