Métronome
accès. » Quant à la Seine, il y voit la source de la vie et de la pureté : « Le fleuve fournit une eau très agréable et très pure à voir comme à boire si l’on en a envie. De fait, comme on vit dans une île, c’est surtout au fleuve qu’on doit prendre l’eau. »
Julien aime tout à Lutèce, hormis « la rusticité des Gaulois et la rigueur de l’hiver ». C’est vrai, les Gaulois n’ont peut-être pas la culture policée du jeune homme, et surtout ils possèdent une langue, observent des coutumes et adorent des dieux inconnus des nobles romains… Il y a donc en eux du barbare que seule la grande civilisation latine parviendrait à éradiquer.
En revanche, en ce qui concerne la saison froide, Julien n’a pas tort de se méfier. Le deuxième hiver qu’il passe à Lutèce est exceptionnellement glacé et Julien nous en donne un tableau apocalyptique : « Le fleuve charriait comme des dalles de marbre… les blocs gelés de cette masse blanche, blocs énormes qui s’entrechoquaient et n’étaient pas loin d’établir un passage continu, une chaussée sur le courant. »
Il faut donc chauffer la résidence de l’île. On allume des braseros, Julien en demande davantage car il grelotte dans ce climat exécrable. Enfin, il s’endort… Mais soudain il se réveille dans un accès de toux, il étouffe, la chambre est envahie de fumée, ses yeux piquent et sa gorge racle, il perd son souffle, l’air qu’il aspire lui ronge les entrailles. Il crie, il hurle, et puis tout se brouille, il s’enfonce dans un sommeil trop lourd… Mais ses vociférations ont été entendues. Des esclaves se précipitent et sortent le corps inanimé dans la cour. L’air vif ranime Julien. Des braises fumantes ont failli interrompre ici une irrésistible ascension. Si ce haut personnage avait été asphyxié cette nuit-là, qui sait ce que Paris serait devenu ? Une petite ville crainte par les Romains superstitieux, un modeste bourg gaulois à la réputation détestable ?
Mais non, Julien survit à son accident. Quand le printemps fait enfin fondre les glaces, il repart vers le Rhin, rétablit des forteresses, traite avec des petits rois barbares, évolue à la frontière entre Alamans et Burgondes, puis revient à Lutèce à la fin de l’automne. On dirait, cette fois, que le bouillonnant général n’a plus l’intention de quitter sa résidence. Sa femme Hélène vient le rejoindre. Il se satisferait sans doute désormais d’une existence sereine au bord de la Seine, si la politique ne venait jeter le trouble dans la région…
Car Julien a si bien assuré la stabilité de la Gaule que ses soldats vont bientôt devoir partir pour l’Orient mener la guerre contre les Perses. Quitter la douceur de Lutèce ? Aller s’éreinter dans les déserts de Mésopotamie ? Jamais ! Dès le mois de février 360, les légionnaires se rebellent. Ils traversent la ville en jurant de ne jamais se séparer de Julien. Des manifestations dans les rues de Paris… on n’avait jamais vu ça !
Alors le vice-empereur fait montre d’autorité. Il s’adresse à ses soldats gaulois : il les a compris, il agira de manière à leur éviter de partir vers l’Orient.
— Que votre colère se calme pour un temps, je vous prie, et il sera facile d’obtenir sans rébellion ni menées révolutionnaires ce que vous réclamez. Puisque les attraits de votre terre natale vous retiennent, et que vous craignez des pays étrangers auxquels vous n’êtes pas habitués, retournez maintenant chez vous. Vous ne verrez rien au-delà des Alpes, puisque vous ne le voulez pas ! Je vous en excuserai personnellement par des justifications appropriées auprès de l’empereur Constance, c’est un prince fort avisé, et capable d’entendre raison.
Ces bonnes paroles, consensuelles comme il faut, tranquillisent un peu les soldats, mais au printemps les tensions s’exacerbent à nouveau et les légionnaires, romains et gaulois confondus, sont bien décidés à forcer le destin.
— Julien Auguste !
Par ce cri unanime, ils réclament Julien comme empereur. Ils n’auront plus à craindre alors des intrigues conduites ailleurs par un empereur que l’on ne voit jamais mais qui menace toujours.
Les soldats envahissent la résidence et demandent à leur général de ceindre le diadème. Le diadème ? Quel diadème ? N’importe quoi fera l’affaire, pourvu que l’on pose sur la tête du jeune homme quelque chose qui ressemble à
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