Métronome
jusqu’à Marseille. Sans oublier les alliances subtiles et éphémères qui se nouent entre les uns et les autres…
Childéric, fils du roi Mérovée, voit dans cet enchevêtrement d’intérêts et de fricotages l’occasion d’assurer sa lignée, celle des Mérovingiens, en prenant la Gaule, et singulièrement Paris. Avec ses mercenaires, il avance vers la Seine, et l’homme paraît redoutable : son nom francique, Hilde-Rik, ne signifie-t-il pas « Puissant à la guerre » ?
Mais Geneviève, franque par sa mère et qui parle le francique, court s’adresser directement à l’assiégeant. Elle dissuade Childéric d’entrer dans Paris : cette hardiesse déclencherait une guerre ouverte contre Syagrius dont le pouvoir s’exerce entre la Somme et la Loire.
Childéric atermoie, hésite, esquisse un pas en avant, recule, revient. Fait-il le siège de Paris ? Nul ne le sait vraiment, mais il campe avec ses troupes autour de la ville, organise un blocus, détruit les routes qui y mènent, affame la population… Il n’entre pas dans Paris, certes, mais empêche ses ennemis de venir s’y installer. Cette guerre qui n’en est pas une, cet affrontement silencieux, cette hostilité retenue, ce blocus inutile vont durer dix ans ! À partir de 476, Childéric joue avec Paris, comme un gros Raminagrobis repu et vieillissant qui s’amuserait à effaroucher une petite souris dont il ne veut pas vraiment.
Le roi installe son camp retranché sur la rive droite de la Seine, face à l’île de la Cité, et dresse une haute tour de guet, cette loewer franque qui observe la ville, épiant tous ses mouvements. Les Parisiens prennent l’habitude de voir cette menace dressée sur les rives du fleuve, rappel constant de la position précaire d’une population assiégée.
Les puissants sont aux portes, mais n’entrent pas. Cette situation saugrenue permet à Geneviève de dominer entièrement Paris par son charisme, sa foi, son autorité, ses richesses. Elle a la haute main sur la curie comme sur la municipalité et veille avec attention au bien-être de la population…
Quand Paris a trop faim, la sainte intervient. Ce n’est pourtant pas un miracle qui va sauver la ville, mais un coup de force audacieux. Paris agonise, alors Geneviève tente une sortie. Les routes défoncées sont impraticables, il faut donc passer par le fleuve… Geneviève mobilise une troupe, arme onze bateaux et vogue vers Arcis-sur-Aube, en Champagne. Mais les eaux du fleuve sont encombrées, alors Geneviève défonce les barrages à coups de hache. Les marins, stupéfaits et soulagés, imaginent un peu naïvement la sainte aux prises avec des monstres à l’odeur fétide. Il ne s’agit, en réalité, que de troncs d’arbres pourris placés par l’ennemi et destinés à entraver la circulation fluviale.
Arrivée en Champagne, Geneviève commence par guérir d’un signe de croix la femme du tribun local, qui souffrait depuis quatre ans. Elle achète du blé sur ses propres deniers et s’en retourne avec les bateaux lourds de grains. Mais la navigation sur ses embarcations trop chargées s’annonce périlleuse, et si les rameurs se montrent confiants, ils sont tous inexpérimentés et plutôt maladroits. La prière vient au secours de ces marins d’occasion, et l’on pousse et l’on tire sur les rames en chantant, en rythme, un hymne tiré du livre de l’Exode de l’Ancien Testament :
« Chantons l’Éternel, il est souverainement grand ; coursier et cavalier, il les a lancés dans la mer.
» Il est ma force et ma gloire, l’Éternel ! Je lui dois mon salut…»
À Paris, Geneviève distribue le blé à chacun selon ses besoins. Pour les plus pauvres, qui ne possèdent ni four ni bois, elle offre du pain confectionné par les diaconesses.
Childéric ferme les yeux sur ces accrocs à son blocus. Peut-être est-il fatigué de cet affrontement feutré qui s’éternise. Il n’est arrivé à rien, il n’a pas pris Paris, il n’a pas vaincu Syagrius. La Gaule était donc un leurre, un piège dans lequel il s’est enfoncé. Et c’est ainsi, désabusé et amer, qu’il s’envole en 481 pour le Walhalla, le paradis des guerriers germains, laissant à son fils Clovis le soin d’achever son œuvre.
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Clovis, jeune homme de seize ans, soudain promu roi des Francs, est bien décidé à perpétuer avec une belle piété filiale la politique paternelle. Il poursuit le combat contre Syagrius et continue
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