Meurtres dans le sanctuaire
rétribution.
Kathryn s’essuya les doigts à sa serviette et poursuivit :
— Qu’un malade pauvre ne me paie pas est une chose, que le Conseil de Cantorbéry fasse de même en est une autre. À présent, je dois partir.
Colum insista pour payer le tavernier, puis, après avoir achevé le contenu de sa coupe, il intima d’un geste à Kathryn de ne pas bouger.
— J’ai une faveur à vous demander, Maîtresse.
Celle-ci parut aussitôt se méfier. Colum poursuivit en bégayant un peu :
— Le corps de logis de Kingsmead est... enfin... les planchers sont pourris, les volets cassés et le toit compte plus de trous qu’un filet. Je me demandais si...
— Que vous demandiez-vous ?
— Je me disais que je pourrais peut-être louer une chambre dans votre maison. Au moins jusqu’à ce que le manoir de Kingsmead soit remis en état.
Kathryn dévisagea l’Irlandais sans répondre. Il ajouta très vite :
— Je vous paierais en bon argent.
Kathryn ne disait toujours rien. Colum évoquait pour elle un garçonnet demandant une faveur à sa mère. « Si je refuse, songeait-elle, il en sera fort offensé, mais si j’accepte... ?» Elle pensa alors à Thomasina, si farouchement déterminée à la protéger.
— J’accepte, dit-elle en souriant.
— Merci. Je vais passer voir Luberon, puis j’apporterai mon bagage à Ottemelle Lane ce soir même. Kathryn se leva.
— Eh bien, Irlandais, je vous dis adieu.
Suant et soufflant, portant sous chaque bras une grosse botte d’herbes jaunissantes, Thomasina remontait Ridinggate pour regagner Ottemelle Lane. Rawnose, le colporteur, se tenait au coin de la rue.
— Avez-vous entendu les nouvelles, Maîtresse ?
Thomasina porta les yeux sur le visage du pauvre mendiant. L’homme était un vrai casse-pieds, mais il souffrait de si terribles blessures que, chaque fois qu’elle le regardait, la servante éprouvait un élan de compassion. Elle répliqua avec lassitude :
— Non, Rawnose, je ne les connais pas.
Elle choisit une breloque bon marché sur le petit plateau pendu au cou du colporteur et le paya. Pendant ce temps, Rawnose continuait à jacasser :
— Eh bien, eh bien, les partisans des Lancastre ont été pourchassés et on a décapité Falconberg, le dernier de leurs généraux. Puis on a fiché sa tête sur un piquet que l’on a planté au milieu du Pont de Londres. On raconte que Faunte se cache dans la forêt autour de Cantorbéry. Et puis il y a eu encore un empoisonnement. La victime est un marchand. Et la veuve Gumple veut conduire le prochain conseil de la paroisse. Rawnose continuait à pérorer, mais Thomasina, qui commençait à avoir mal aux bras à cause de ses lourdes bottes de paille, le laissa en plan et reprit sa marche. Elle vit un homme penché au-dessus de l’étal d’un étameur et reconnut les grosses fesses du prétentieux Goldere. Elle sourit, et, au passage, elle fit en sorte d’effleurer l’élégant haut-de-chausses de Goldere avec sa jonchée. L’homme se redressa tel un ressort.
— Ah ! Oh ! hurla-t-il. La servante s’arrêta.
— Pardon, dit-elle, le souffle court, c’est que je suis si pressée !
Et avec un sourire jusqu’aux oreilles, elle poursuivit son chemin jusqu’au logis Swinbrooke.
Agnes lui ouvrit la porte. Thomasina commença par raconter les commérages que, d’après elle, la fille de cuisine était en droit de connaître ; après quoi toutes deux débarrassèrent la vieille jonchée de la cuisine et balayèrent le plancher avant de disposer la nouvelle qu’elles parsemèrent de menthe et de thym.
Pendant ce temps, Thomasina se demandait avec anxiété où était Kathryn. L’Irlandais ne lui inspirait aucune confiance, et elle craignait que sa maîtresse ne se laisse entraîner à trop travailler pour la mission qui lui avait été confiée. La servante n’écoutait donc que d’une oreille le bavardage d’Agnes jusqu’au moment où celle-ci se tut subitement et laissa échapper le balai qu’elle tenait à la main.
— Oh, mon Dieu ! s’exclama-t-elle. Oh, je suis désolée, j’ai oublié de te le dire, Thomasina, une missive est arrivée pour
Maîtresse Kathryn.
Elle courut jusqu’au petit bureau de Kathryn et en revint avec un morceau de parchemin sale et graisseux, mais scellé néanmoins par un cachet de cire rouge. Thomasina, qui s’était essuyé les mains sur sa blouse, lui arracha presque le pli.
— Je m’en occupe, dit-elle rudement.
Elle
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