Meurtres dans le sanctuaire
de ciel bleu apparaissant entre deux maisons, Colum marmonna :
— Je n’ai jamais aimé la ville.
Toujours nerveux, il gardait la main sur son épée tout en scrutant les étroites ruelles qui partaient de Mercery. Celles-ci étaient si sombres que l’on avait accroché des lanternes à l’extérieur des portes des maisons.
Enfin ils arrivèrent à la Taverne du Lion. Il y régnait une chaleur moite. Au fond de la salle crépitait un grand feu au-dessus duquel trois ou quatre broches tournaient, manipulées par de jeunes garçons au visage noir de suie. Kathryn et Colum prirent place à une table près de la fenêtre. Une souillon en sueur leur servit du vin coupé d’eau dans des bols en bois, ainsi que du porc nourri avec les glands les plus tendres, puis des portions de carpe préparée dans une sauce piquante. Au milieu de la salle se dressait une grande table graisseuse où se pressait une foule de clients, pour la plupart des pèlerins, attendant que l’on apporte l’une des pièces de viande en train de rôtir, dont ils se couperaient des tranches. Colum les observa un moment. De temps en temps, il reportait son regard sur Kathryn, notant comme elle coupait sa viande avec élégance pour en porter à sa bouche de tout petits morceaux. Après quoi, elle se rinça délicatement les doigts dans une coupe d’eau, avant de les essuyer à une serviette. Non, elle ne déparerait pas à la cour, songeait-il, quand elle leva les yeux sur lui.
— À quoi pensez-vous, Irlandais ?
— Je suis désolé de m’être laissé emporter avec Brantam, répliqua Colum avant de boire une gorgée de vin. J’oublie toujours que je ne suis pas dans un camp de soldats.
Il dévisagea sa compagne.
— Je manque d’égards ; il ne doit pas être facile d’être femme médecin. Surtout avec des confrères comme Cotterell !
— C’est eux qui ont du mal. Moi, je n’en ai point.
— Pourquoi avez-vous abandonné le nom de votre mari ?
Kathryn haussa les épaules.
— Pourquoi me pose-t-on tout le temps cette question ?
Elle porta les yeux vers l’entrée de la taverne où deux chats se disputaient le rat qu’ils avaient attrapé.
— Mon mari est parti. Je suis veuve. Kathryn soupira.
— De fait, je le suis à tous les égards.
— On n’a cependant pas retrouvé son corps, n’est-ce pas ?
Kathryn le regarda et Colum sut qu’il l’avait touchée au vif à cause de la méfiance dans ses yeux.
— Ne parlons pas de cela, dit-elle seulement.
— Dans l’affaire des meurtres de pèlerins, reprit son compagnon pour dissimuler son embarras, avezvous des soupçons ?
Kathryn s’adossa au mur. Elle avait chaud et sentait maintenant la fatigue. L’étoffe de sa robe lui collait à la peau, et elle eût été mieux à Ottemelle Lane qu’ici, dans la touffeur de cette taverne.
— Le meurtrier est un homme instruit, déclara-t-elle, il connaît Cantorbéry et nourrit des griefs contre le sanctuaire. Mais dites-moi, Irlandais, si d’aventure nous nous étions trompés de suspects ? Si notre assassin était un médecin ne figurant pas sur la liste dressée par Newington ?
— Newington est un homme consciencieux.
— J’en conviens, mais si notre coupable était simplement quelqu’un qui a la possibilité de se procurer des potions et des médicaments ?
Kathryn prit sa coupe de vin.
— Notre tâche serait facilitée si nous prenions des hommes pour surveiller nos suspects.
— Ce n’est pas possible, répliqua Colum, et d’ailleurs nous n’en avons pas le droit, car cela équivaudrait à porter contre eux une accusation sans preuve. Ces hommes sont médecins et, à ce titre, peuvent aller et venir à leur guise. Vous l’avez dit vous-même, ils détiennent les clés des poternes de la ville, dont ils peuvent sortir même la nuit. S’ils le voulaient vraiment, ils pourraient facilement fausser compagnie à nos agents chargés de les surveiller, et nous ne serions pas plus avancés.
L’Irlandais se pencha en avant et pressa la main de Kathryn.
— Vous avez déjà gagné votre salaire en trouvant le lien entre les meurtres et ce poète Chaucer, Maîtresse Swinbrooke.
— Nous en comprendrons davantage quand Luberon fera porter chez moi le manuscrit de l’archevêque. À ce propos, Irlandais, je vous serais reconnaissante de demander que l’on m’envoie une copie de mon contrat établi par le Conseil, ainsi que la somme qui doit m’être allouée en
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