Meurtres dans le sanctuaire
sortit en trombe de la cuisine pour grimper quatre à quatre l’escalier jusqu’à sa chambre. Là, elle referma soigneusement la porte sur elle et s’assit sur le lit à colonnes recouvert d’une couverture matelassée, présent de son père pour sa première nuit de noces.
— Ah, tu en as vu et entendu, toi, murmura
Thomasina à l’adresse de la vaste couche.
En parlant ainsi, elle riait et pleurait à demi, aussi s’essuya-t-elle les yeux. Cela lui arrivait toujours quand elle s’asseyait sur le lit et que lui revenaient les souvenirs du passé.
Elle examina ensuite attentivement le parchemin. Quelque chose n’allait pas avec sa maîtresse, et chaque fois qu’arrivait une de ces mystérieuses missives, c’était pire. Thomasina caressa du doigt le cachet de cire. Qu’est-ce qui allait de travers ? Quelque chose en rapport avec Alexander Wyville, cette misérable crapule qu’avait épousée Kathryn ? Thomasina avait été si heureuse lorsqu’il était parti à la guerre un soir plus tôt que prévu ! Le souvenir de ce fameux jour lui revint en mémoire. Elle avait conduit Kathryn passer la nuit chez Joscelyn, un parent du docteur Swinbrooke. À leur retour, ce dernier avait seulement annoncé qu’Alexander était parti ; il avait empaqueté ses effets, pris l’argent dans son coffre, ainsi que l’épée, le bouclier et la lance qu’il avait achetés, et s’en était allé rejoindre les troupes que Faunte avait levées et rassemblées dans les champs, près de l’église Saint-Dunstan, à côté de Westcliff. De ce jour Kathryn n’avait plus été la même. Quant à son père, il avait sombré peu à peu dans un très profond abattement. Pinçant les lèvres, Thomasina inspira profondément par le nez, puis elle rompit le cachet de cire et déplia le parchemin. L’écriture gribouillée ne la surprit pas, elle l’avait déjà vue sur un précédent message, mais la méchanceté de la missive lui tira une grimace : « Où est ton mari, Alexander Wyville ? Tuer est un crime, et on pend les criminels. »
Thomasina examina la potence grossièrement dessinée et la femme aux longs cheveux qui y était pendue. Au-dessous, l’auteur avait encore écrit : « Mais le silence est d’or, et tu peux laisser trois pièces d’or sur la tombe du brave Théodore, au fond du cimetière de Sainte-Mildred, aujourd’hui, entre la quatrième et la cinquième heure. »
La servante froissa en boule la lettre avant de redescendre hâtivement à la cuisine. Là, elle consulta la bougie des heures : sa flamme avait déjà entamé le quatrième cercle.
Thomasina jeta la méchante lettre au feu et la regarda se consumer.
— Agnes ! cria-t-elle. Agnes, arrive tout de suite !
La jeune fille de cuisine fut aussitôt devant elle, son petit visage maigre tout tendu par l’excitation qui imprégnait la maison depuis peu : Maîtresse Kathryn sortait tout le temps, un Irlandais débauché venait souper, des lettres mystérieuses arrivaient, et à présent Thomasina était rouge et agitée. La servante saisit Agnes par l’épaule.
— Dis-moi, ma fille, tu aimes les fruits confits ?
Comme Agnes hochait la tête, Thomasina reprit :
— En voudrais-tu une écuelle pleine ?
De nouveau Agnes hocha la tête, et Thomasina indiqua la dépense d’un geste théâtral.
— Ils sont là, et tu peux les manger tous, à une condition : tu ne parleras pas à Maîtresse Swinbrooke de cette missive. Tu m’as comprise ?
Agnes fit le signe de la croix avant de jurer qu’elle mourrait plutôt que de rompre sa promesse. Thomasina, après lui avoir encore serré l’épaule, se hâta hors de la cuisine, tandis que, tel un moineau, Agnes filait vers la dépense et la récompense de son silence. Thomasina descendit rapidement Ottemelle Lane. Elle écarta d’un geste Mollyns le meunier qui voulait l’arrêter, et Goldere fut pareillement repoussé ;quant au pauvre Rawnose, il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche que déjà la servante avait passé son chemin pour bifurquer dans Hethenman Lane. Elle dépassa l’hôpital. Au-dessus d’elle se dressait le château de Cantorbéry avec ses grilles en fer forgé, ses tourelles crénelées et ses hautes tours. À sa gauche, l’église Sainte-Mildred, sur sa petite hauteur dominant la rivière Stour, pointait au ciel sa haute flèche élégante.
Bien qu’Ottemelle Lane se situât à la limite de la paroisse Sainte-Marguerite, la famille de Kathryn
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