Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
Vom Netzwerk:
contre elle
en la comprenant. Frank, lui, a échappé pendant les quatre jours qu’il a passés
près de moi. Nous en avons ri. Je suis absolument certaine qu’aucun sanatorium
ne parviendra à le soigner. Il ne se rétablira jamais, tant que cette angoisse
l’habitera. Aucun affermissement psychique ne peut surmonter cette angoisse, car
l’angoisse fait obstacle à tout affermissement. Cette angoisse n’a pas
seulement trait à moi, mais à tout ce qui vit sans pudeur, à la chair aussi par
exemple. La chair est trop dévoilée, il ne supporte pas de la voir. C’est là
une angoisse qu’à cette époque je suis parvenue à écarter. Lorsqu’il la sentait
monter, il me regardait dans les yeux, nous attendions un moment comme si nous
ne pouvions reprendre haleine ou comme si nos pieds nous faisaient mal, et, au
bout d’un moment, elle s’en était allée. Il n’y avait pas besoin du moindre
effort ; tout était simple et clair. Je l’ai traîné sur les collines
derrière Vienne, courant devant lui, car il avançait lentement ; il
suivait à pas lourds et, lorsque je ferme les yeux, je vois encore sa chemise
blanche et son cou bronzé, je le vois encore qui s’efforce à suivre. Il a
marché toute la journée, montant et descendant les collines, il s’est exposé au
soleil, n’a pas toussé une seule fois, a mangé comme un ogre et dormi comme un
loir, il était, tout simplement, en bonne santé ; ces jours-là, sa maladie
ressemblait à un petit refroidissement. Si j’étais partie à Prague avec lui à
ce moment-là, je serais restée pour lui celle que j’étais auparavant. Mais j’avais
les deux pieds enracinés dans la terre viennoise, je n’étais pas en état de
quitter mon mari et peut-être étais-je trop femme pour avoir la force de me
soumettre à une vie dont je savais qu’elle impliquerait l’ascèse la plus
rigoureuse, pour toute ma vie. Mais je suis habitée par une irrésistible
nostalgie, une nostalgie frénétique d’une vie tout autre que celle que je mène
et que celle que je mènerai jamais, la nostalgie d’une vie avec un enfant, d’une
vie tout à fait terre à terre.
    « Et ce sentiment l’a emporté en moi sur tout autre, sur
l’amour, sur l’attrait d’une existence aérienne, sur l’admiration et, une fois
encore, l’amour. On pourra dire à ce propos ce que l’on voudra, le résultat
sera toujours un mensonge. Ce n’est encore là, peut-être, que le plus véniel. Et
ensuite, justement, il était déjà trop tard. Puis ce combat en moi-même est
devenu trop évident, et cela l’a effrayé. Car c’est précisément contre cela qu’il
lutte, depuis toujours, mais de l’autre côté de la barrière. Il a pu trouver le
repos auprès de moi. Mais ensuite son angoisse est revenue, s’est immiscée
entre nous. Contre ma volonté. J’ai très bien compris alors que quelque chose s’était
passé qu’il serait dorénavant impossible d’effacer. J’étais trop faible pour
pouvoir faire, réaliser la seule et unique chose qui, je le savais, aurait pu l’aider.
Et c’est ma faute. Et vous savez, vous aussi, que c’est ma faute. Ce que l’on
met sur le compte de la non-normalité de Frank – c’est cela, précisément, qui
fait sa supériorité. Les femmes qui l’ont rencontré étaient des femmes
ordinaires qui ne savaient vivre, précisément, que comme des femmes. Je crois, en
fait, que c’est nous, que c’est le monde tout entier, tous les humains qui sont
malades et qu’il est le seul à être sain, le seul à comprendre, à sentir comme il
convient, le seul être pur. Je sais qu’il ne se défend pas contre la vie, mais
seulement contre ce type de vie. Si j’avais été capable de partir avec lui, il
aurait pu vivre heureux avec moi. Mais tout cela, c’est aujourd’hui que je le
sais. À cette époque, j’étais une femme ordinaire, comme toutes les femmes du
monde, une petite femme prisonnière de ses instincts. Et c’est cela qui a
suscité son angoisse. Elle était fondée. Se peut-il, aussi bien, que cet être
ressente quoi que ce soit sans que cela soit fondé ? Sa connaissance du
monde est dix mille fois plus grande que celle de tous les habitants de cette
terre. Cette angoisse qu’il ressentit alors était fondée. Et vous vous trompez :
Frank ne m’écrira pas de son propre mouvement. Il n’est rien qu’il puisse m’écrire.
Il n’y a, en fait, pas un seul mot qu’il puisse me dire dans cet état d’angoisse.
Il

Weitere Kostenlose Bücher