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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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le vainqueur. Il disposait de cette
connaissance des hommes qui est l’apanage de ceux qui vivent dans la solitude ;
ses nerfs ultra-sensibles lui permettaient de pénétrer, comme un voyant, dans
les arcanes d’un être, simplement en saisissant une expression fugitive sur son
visage. Sa connaissance du monde était aussi extraordinaire que profonde. Il
constituait lui-même un univers extraordinaire et profond. Il a écrit les
livres les plus importants de la jeune littérature allemande. Ils incarnent, sans
aucun parti pris, le combat des générations de notre temps. Ils sont d’une
nudité si véridique qu’ils apparaissent encore comme naturalistes là où ils
parlent en symboles. Ils ont l’ironie sèche et le don de vision sensible d’un
homme qui a ausculté le monde avec une clairvoyance si extraordinaire qu’il n’a
pu le supporter et s’est trouvé voué à la mort ; car il ne voulait pas
faire de concessions, il ne voulait pas, comme les autres, trouver le salut
dans quelque fourvoiement intellectuel, si noble fût-il. Franz Kafka a écrit le
fragment intitulé le Chauffeur (publié en tchèque dans la revue Červen
[Juin] de Neumann), et qui constitue le premier chapitre d’un beau roman
encore inédit. Il a publié le Verdict qui met en scène le conflit de
deux générations. La Métamorphose, l’ouvrage le plus puissant de la
littérature allemande moderne. La Colonie pénitentiaire et des ébauches,
intitulées Contemplation, le Médecin de campagne. Le manuscrit de son
dernier roman, Devant le tribunal [le Procès], est déjà prêt pour l’impression
depuis trois ans ; il est l’un de ces ouvrages dont la lecture inspire un
tel sentiment d’universalité que tout commentaire en est superflu. Tous ses
ouvrages évoquent l’horreur de malentendus mystérieux, d’une faute non
identifiable dont se seraient rendus coupables les hommes. C’était un homme et
un artiste doté d’une conscience si scrupuleuse qu’il demeurait encore vigilant
là où les autres, les sourds, se sentaient déjà en sûreté [36] . »

Le chemin de la simplicité
    Début 1924, Wilma, l’amie de Milena, revint à Vienne et
se rendit à la Lerchenfelderstrasse. D’une façon générale, Milena ne parlait
que très peu de sa vie privée, elle était rien moins que communicative. « Il
faut pouvoir garder ses distances, écrivit-elle un jour. Il faut être capable
de fréquenter quotidiennement des gens sans rien leur révéler de soi-même. Peut-être
ne pourra-t-on pas empêcher que tel ou tel connaisse des aspects de notre vie
privée, mais ce n’est pas une raison pour l’y aider de surcroît. Lorsqu’on
franchit les barrières de l’intimité, on s’expose à la critique, à la pitié et
à l’envie ; les relations humaines commencent alors à devenir
problématiques car, sans le vouloir, l’on a ouvert toutes grandes les portes
aux malentendus. On ne maîtrise plus jamais les relations avec les autres, on
ne peut plus jamais les façonner, on est au contraire modelé par elles. Au
reste, l’excès d’intimité débouche sur l’infidélité vis-à-vis des véritables
amis, c’est une faute de goût vis-à-vis de soi-même [37] . »
    Milena accueillit Wilma avec une très grande cordialité et
la conduisit dans la maison. Dès le premier coup d’œil, il était visible que
Milena avait changé : elle était plus calme, en meilleure santé, plus
équilibrée ; non sans fierté, elle raconta à son amie qu’elle venait d’installer
une sorte de pension dans sa maison, qu’elle louait deux chambres, préparait à déjeuner
à ses pensionnaires, employant même une gouvernante. Elle semblait alors
vraiment dominer l’existence. Elle avait développé certains talents pratiques, s’était
approprié diverses connaissances en matière de ménage et de cuisine – des
capacités dont tireront parti, plus tard, à Prague, nombre de ses hôtes démunis,
et qui feront l’admiration de tous.
    Étonnée de cette transformation, Wilma n’eut pas à chercher
longtemps pour découvrir que Milena avait enfin trouvé la force de se séparer d’Ernst
Polak, d’en finir avec cette union depuis si longtemps ébranlée et qu’elle
avait trouvé le bonheur dans un nouvel amour.
    « Permets-moi de te présenter mon “sous-locataire”, le
comte Xaver Schaffgotsch », lui dit Milena, prononçant ce nom avec une
nuance d’hésitation qui semblait demander qu’on excusât le titre de noblesse.

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