Milena
capables, mais les Tchèques n’ont pas le goût du cérémonial. Ils ne
s’intéressent pas aux figures entourées de légende, préfèrent ce qui est proche,
simple. Plus un homme se rapproche de nous, et plus nous l’aimons. Plus il s’adresse
à notre sphère privée, intime, et plus nous lui faisons un accueil chaleureux. Moins
il a de gardes du corps, plus sa vie est en sécurité et plus nous l’accueillons
à bras ouverts. Cette attitude plonge ses racines dans le sens démocratique
profond de notre peuple, dans le besoin de proximité humaine, dans le
respect que nous portons à tout être humain, à l’intangibilité de son libre
arbitre qui constitue pour nous la prémisse de tout véritable salut […].
« Ces derniers temps, on entend souvent dire que nous
sommes partie intégrante de l’espace vital allemand, que, dans une certaine
mesure, nous sommes un pays, une patrie intégrés à cet espace vital.
« Je suis tchèque et j’ai, à ce titre, une bonne
oreille musicale. À entendre la sonorité d’un mot, je déduis ce qu’il veut
vraiment dire. Espace – cela veut dire ciel, air, nuages, quelque chose d’ample,
de vaste, d’indéterminé, un souffle en quelque sorte. Mais, nous autres, nous
vivons sur la terre, sur la glèbe dont, par notre travail, nous extrayons notre
pain quotidien. Cela fait des siècles que nous vivons ainsi, le grand-père
transmettant la charrue au père, et le père à son fils. Nous n’en avons pas
fait un espace, nous ne sommes jamais qu’un peuple de huit millions de
personnes, un peuple qui a sa langue, ses habitudes et ses coutumes, ses
chansons, ses nostalgies et ses idéaux. À mon avis, nous ne constituons en rien
un pont entre l’Allemagne et les Slaves. Nous, les Tchèques d’aujourd’hui, constituons
un pont entre les Tchèques d’hier et ceux de demain, nous enseignerons le
choral de saint Venceslas à nos enfants, nous le leur transmettrons. C’est cela
et cela seul que nous ferons […]. Dans la précédente livraison de Přítomnost, un national-socialiste allemand écrit entre autres : “… Les Allemands
sont, sans exception, nationaux-socialistes […] et c’est leur droit le plus
légitime de manifester cette conviction…” Ce à quoi l’on ne peut que répondre
que nous aussi ne réclamons rien d’autre que ce droit légitime… Mais lorsque
vous écrivez qu’il est nécessaire et urgent que l’âme des Tchèques connaisse
une nouvelle naissance, je me permettrai de vous rappeler une fois encore que
mon oreille a une sensibilité particulière aux mots : car comment une “nouvelle
naissance” peut-elle être “nécessaire et urgente ‘‘ ? Une nouvelle
naissance ne peut que résulter d’un processus organique… Si ce n’était pas le
cas, il s’agirait d’un processus forcé. Mais l’âme d’un peuple ne renaît pas
sur ordre… à moins qu’on ne se contente de lui coller dessus quelques signes
extérieurs d’une nouvelle identité et de proclamer : “Opération réussie !”
Je crois que, ce faisant, on transformerait, dans le meilleur des cas, l’âme de
notre peuple en monstre. De la même façon que l’âme de la nation allemande et
celle des nationaux-socialistes a connu une lente croissance pour finir par se
cristalliser sous cette forme de doctrines anguleuses, l’âme du peuple tchèque
s’est développée de l’époque de Lipany [56] à celle de la
Montagne-Blanche [57] ,
puis de la Montagne-Blanche à Munich ; et au fil de cette croissance se
sont cristallisées certaines notions qui circulent, vivantes, dans notre sang.
« Nous pourrions résumer notre histoire en deux phrases
qui renvoient à deux époques différentes : “Frappez, tuez, que nul ne
survive [58] …”
Et : “Ô, faites que nous ne sombrions pas, ni ceux qui viendront après
nous [59] …
‘‘ Il ne fait guère de doute que notre présent porte le sceau de cette seconde
exhortation. Admettons-le sans inquiétude. Et considérons qu’il est de notre
devoir, en ces temps que nous traversons, de chanter à haute voix, pleins de
ferveur, ce cantique – ou même, simplement, de le fredonner doucement. Nous
sommes très sensibles à ce chant, au moins autant que le sont les Allemands à
la Paix de Versailles. Si vous souhaitez que nous soyons de bons voisins, honorez
ce chant, car il exprime l’âme de notre peuple [60] ! »
L’explosion destructrice
« Que ton sérieux et que ta force vont profond [61]
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