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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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Des bruits circulent dans le camp, selon
lesquels une épidémie de poliomyélite sévit au Mecklembourg. Le D r Sonntag décide de mettre Ravensbrück en quarantaine. Les détenues sont enfermées
dans les baraques et ne peuvent plus aller au travail. Aucune surveillante n’entre
dans le camp. Toutes les détenues se réjouissent de cette nouvelle situation. Un
seul fait les inquiète, les effraie : chaque jour apparaissent de nouveaux
cas de paralysie ; celles qui en sont affectées sont transportées de leurs
différents blocs dans une baraque spéciale. Celles qui sont atteintes de
paralysie présentent les mêmes symptômes : brusquement, elles ne peuvent
plus faire le moindre geste. Chose surprenante, aucune « ancienne »
détenue politique n’est affectée par la maladie ; le sont, pour l’essentiel,
les asociales, les Tziganes, les « mignonnes Polonaises », les
Allemandes qui ont été envoyées au camp pour avoir eu des rapports avec des
étrangers. Si je me souviens bien, il y avait déjà, au bout de huit jours, une centaine
de femmes qui étaient atteintes de « poliomyélite ».
    Je n’oublierai jamais les deux semaines de quarantaine. Il
faisait un temps d’été superbe, le ciel était d’un bleu profond, il n’y avait
pas un nuage. À l’exception des deux promenades quotidiennes – chaque baraque
rigoureusement séparée des autres – les détenues devaient demeurer dans leurs
cantonnements. Milena s’était portée volontaire pour servir à la « baraque
des paralysées ». Protégée par mon brassard vert de Blockälteste, je
me faufilais chaque jour, vers midi, malgré l’interdiction, vers la « baraque
des paralysées », en faisant de grands détours ; on l’avait aménagée
dans le bloc disciplinaire qui était entouré d’une clôture spéciale, et où il
était évidemment interdit d’entrer… Milena m’attend déjà, elle s’approche de la
grille, nous nous asseyons à même le sol, séparées par le réseau de fil de fer.
Tout est parfaitement calme. Aucune surveillante n’est là à brailler, aucun
chien à japper et troubler la quiétude. Le camp est comme tombé sous un charme.
Tout près de nous, deux alouettes des bois sautillent sur le chemin et l’on
entend le cri monotone d’un bruant. L’air brûlant scintille, tout autour de
nous monte l’odeur de la terre gorgée de soleil. Le temps s’arrête. C’est l’heure
de Pan. Milena commence à chanter doucement, une chanson tchèque, une mélodie
suave et douloureuse à la fois : « Ô collines vertes qui étiez
miennes ! Ô joie de mon cœur ! Cela fait si longtemps déjà que je n’ai
plus entendu le chant des oiseaux. À l’horizon point une triste époque… »
    Nous parlons des étés de jadis, des vacances de notre
enfance : « Te rappelles-tu encore cette sensation extraordinaire que
l’on éprouve quand le vent estival vous fait battre une fine robe contre les
jambes ? Et l’herbe tendre sous les pieds, quand nous courions pieds nus ? »
Milena était sur le mont Spičak, et moi tout près de la frontière de la
Bohême, dans les Fichtelgebirge, dans la ferme de mes grands-parents. C’étaient
les mêmes collines arrondies de part et d’autre de la frontière, les mêmes
forêts sombres de pins et les mêmes prairies en pente couvertes de fleurs… Et
maintenant ? Je regarde les pieds nus de Milena, ils sont d’une beauté
parfaite, comme ceux d’une statue. Pourquoi faut-il qu’ils souffrent le martyre
sur l’allée couverte de mâchefer ? J’en ai le cœur qui se serre.
    Lorsque nous prenons congé, Milena me glisse un billet plié
en quatre à travers le grillage. « Lis ça, et débarrasse-t’en
immédiatement. » Cette fois, ce n’est pas une lettre, le mot ne commence
pas par cette formule que j’aime tant, « Ma petite fille toute bleue ! »,
c’est un conte qu’elle a écrit pour moi : « La princesse et la tache
d’encre ». J’apprends le tchèque pour pouvoir ressentir la beauté de sa
langue maternelle. Milena ne peut résister à une feuille de papier vide. Il
faut qu’elle écrive. Pendant un certain temps, nous nous sommes écrit tous les
jours. Nous dérobions à cette fin du papier au bureau de l’infirmerie. D’une
promenade à l’autre, arrivaient les réponses, par retour du courrier. Milena
maîtrisait étonnamment bien la langue allemande, la richesse de son vocabulaire
m’a toujours plongée dans le ravissement. Un

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