Moi, Claude
point : il obéit, et on ne le bombarda que plus fort. Dans l’après-midi le Sénat, voyant que les Gardes ne se montraient pas et que la foule menaçait d’envahir la prison pour lyncher Séjan, décida de s’en attribuer le mérite et le condamna à mort.
Tibère avait une flotte toute prête à l’emmener en Egypte si ses plans tournaient mal. Mais Caligula lui communiqua aussitôt la nouvelle par signaux lumineux. Séjan fut exécuté et son corps précipité dans l’Escalier des Larmes, où la canaille le couvrit d’insultes pendant trois jours. Quand vint le moment de le traîner au Tibre avec un crochet dans la gorge, on s’aperçut que la tête avait été emportée aux bains publics pour servir de balle et qu’il ne restait que la moitié du tronc. Les rues de Rome étaient jonchées des membres brisés de ses innombrables statues.
Les enfants qu’il avait eus d’Apicata furent condamnés à mort par décret. Comme son fils mineur ne pouvait pas légalement être exécuté, on s’autorisa d’un précédent de la guerre civile et on lui fit revêtir sa robe virile pour la circonstance. La fillette, étant vierge, était encore plus fortement protégée par la loi. Quand on l’emmena en prison elle ne comprit pas ce qui lui arrivait et s’écria : « Pas en prison ! Donnez-moi le fouet si vous voulez : je ne le ferai plus ! » Elle avait évidemment quelque méfait enfantin sur la conscience. Pour éviter de porter malheur à la ville en l’exécutant encore vierge, Macro ordonna au bourreau de la violer. « Rome, pensai-je, tu es perdue : il n’est pas d’expiation pour un crime aussi horrible. » Je pris les dieux à témoin que malgré ma parenté avec l’Empereur je n’avais pris aucune part au gouvernement du pays et qu’impuissant à venger le crime, je le haïssais du moins autant qu’eux.
Quand Apicata apprit ce qu’on avait fait de ses enfants et qu’elle vit la populace insulter leurs corps sur l’Escalier des Larmes, elle se tua. Mais auparavant elle écrivit à Tibère pour lui dire que Castor avait été empoisonné par Livilla et que celle-ci, d’accord avec Séjan, avait projeté d’usurper le trône. Ma mère, elle, ignorait que Castor eût été assassiné. Tibère la fit venir à Capri, la remercia de ses services et lui montra la lettre d’Apicata ; puis il lui dit de fixer elle-même sa récompense. Elle demanda seulement que la famille ne fût pas déshonorée par l’exécution publique de sa fille.
— Comment la punir alors ? demanda aigrement Tibère.
— Donne-la-moi, dit ma mère, je m’en charge.
Livilla ne fut donc pas légalement poursuivie. Ma mère l’enferma dans la chambre voisine de la sienne et l’y laissa mourir de faim. De jour en jour, de nuit en nuit, elle entendait ses cris de désespoir et ses malédictions devenir de plus en plus faibles : mais elle la garda là, à portée de l’oreille, jusqu’à sa mort. Ce n’était pas qu’elle prît plaisir à cette torture, car elle en souffrait d’une manière indicible, mais elle voulait se punir elle-même d’avoir élevé une fille aussi abominable.
La mort de Séjan fut suivie d’une véritable moisson d’exécutions : d’abord tous ceux de ses amis qui ne s’étaient pas dépêchés de tourner casaque – puis une bonne partie de ceux qui l’avaient fait. Quand ils ne prévenaient pas l’exécution par le suicide, ils étaient précipités du haut de la roche Tarpéienne, sur le mont Capitolin. On confisquait leurs biens. Tibère, qui devenait économe, payait chichement les accusateurs : sur le conseil de Caligula il inventait des charges contre ceux qui devaient en retirer le plus de profit et les dépouillait à leur tour. Soixante sénateurs, deux cents chevaliers et un bon millier de gens du commun périrent de la sorte. Ma parenté par alliance avec Séjan aurait pu me coûter la vie, si je n’avais été le fils de ma mère. Je fus autorisé à répudier Ælia en gardant un huitième de sa dot. En fait, je lui rendis tout : elle me considéra sans doute comme un imbécile, mais je lui devais une compensation en échange de notre petite fille Antonia, que je lui fis ôter dès sa naissance. Car Ælia avait voulu devenir enceinte de mes œuvres dès qu’elle avait senti que la position de Séjan commençait à branler. J’étais ravi d’être séparé d’elle, mais je ne lui aurais pas pris l’enfant si ma mère n’y avait tenu : ma mère
Weitere Kostenlose Bücher