Moi, Claude
pièces d’or par tête ?
— Ce qu’il te plaira, César, répondirent-ils d’une voix éteinte.
— Alors versez la somme au pauvre Claude dès votre retour à Rome. La vivacité de sa langue vous a sauvés.
Il leur permit de se relever et leur fit signer sur-le-champ la promesse de me payer cent cinquante mille pièces d’or avant trois mois.
— Très gracieux César, dis-je à Caligula, tes besoins sont plus grands que les miens. Voudras-tu, quand je serai payé, accepter cent mille pièces d’or en signe de reconnaissance pour m’avoir épargné moi-même ? Si tu y consens, il me restera encore cinquante mille pièces pour payer mon initiation en entier. Je me suis beaucoup tourmenté au sujet de cette dette.
— Tout ce que je pourrai pour contribuer à ta tranquillité ! et là-dessus il m’appela son liard en or.
Homère m’avait sauvé. Mais quelques jours plus tard Caligula me défendit de le citer à l’avenir. « C’est un auteur très surfait. Je vais rassembler ses poèmes et les jeter au feu. Pourquoi ne pas mettre en pratique les recommandations philosophiques de Platon ? Tu connais La République ? Une admirable controverse. Platon voulait exclure de son État idéal tous les poètes : il disait que c’étaient tous des menteurs, et il avait raison.
— Ta Majesté sacrée, demandai-je, se propose-t-elle de brûler d’autres poètes qu’Homère ?
— Certainement. Tous ceux qui sont surfaits. Virgile le premier. Trop ennuyeux. Voudrait être un Homère et n’y arrive pas.
— Et des historiens ?
— Oui. Tite-Live. Encore plus ennuyeux. Voudrait être un Virgile et n’y arrive pas non plus.
31
Après examen des recensements officiels, Caligula convoqua à Lyon les hommes les plus riches de France, de façon à tirer le maximum de la vente du mobilier impérial. Avant le début des enchères il prononça un discours pour expliquer qu’il était un pauvre banqueroutier, affligé d’un passif énorme : il comptait que pour l’amour de l’Empire ses chers amis provinciaux ne chercheraient pas à profiter de ses embarras financiers. Il les priait de ne pas estimer au-dessous de leur valeur réelle les meubles de famille qu’à son grand chagrin il était obligé de mettre en vente.
Outre toutes les ruses des crieurs ordinaires, il en inventait de nouvelles qui dépassaient de beaucoup la portée des paillasses de place publique auxquels il empruntait son bagout. Par exemple il vendait le même objet plusieurs fois de suite à des acheteurs différents en décrivant chaque fois d’une manière différente sa nature, son usage et son histoire. De plus, par « valeur réelle », l’acheteur devait entendre « valeur sentimentale », c’est-à-dire à peu près cent fois la valeur intrinsèque de l’objet. Ainsi Caligula annonçait : « Voici le fauteuil préféré de mon arrière-grand-père Marc-Antoine… » « Le Dieu Auguste a bu dans cette coupe le jour de ses noces… » « Cette robe a été portée par ma sœur, la Déesse Panthée, à la réception donnée par le roi Hérode Agrippa pour célébrer sa sortie de prison… » et ainsi de suite. Il vendait aussi ce qu’il appelait des « surprises » – de petits objets enveloppés d’une étoffe. Quand il avait réussi à faire payer deux mille pièces d’or une vieille sandale ou un morceau de fromage, il était parfaitement heureux.
Les offres commençaient toujours très haut. Caligula faisait signe à quelque riche Français : « Tu as bien dit quarante mille pour ce coffret d’albâtre ? Merci. Mais voyons si nous ne pouvons pas faire mieux. Qui veut dire quarante-cinq mille ? » La peur, on l’imagine, animait les enchères. Il tondit ainsi tout le troupeau et célébra l’affaire par une fête splendide qui dura dix jours.
Il reprit ensuite son voyage vers les provinces du Rhin. Il jurait de faire aux Germains une guerre qui ne se terminerait que par leur extermination, et d’achever pieusement la tâche commencée par son père et son grand-père. Deux régiments furent chargés de passer le fleuve pour repérer les positions de l’ennemi. Ils ramenèrent un millier de prisonniers. Caligula passa ceux-ci en revue et choisit trois cents beaux jeunes gens destinés à sa Garde du corps, puis il aligna les autres le long d’une falaise en plaçant un chauve à chaque bout. « Tue, dit-il à Cassius, d’un chauve à l’autre, pour venger la mort
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