Moi, Claude
Célestes Jumeaux gardent ma porte », disait-il avec fierté. Il écrivit ensuite au gouverneur de la Grèce de faire enlever des temples les statues les plus fameuses et de les lui envoyer à Rome : il avait l’intention de leur ôter la tête et d’y substituer la sienne. Celle qu’il convoitait le plus était la statue colossale de Jupiter Olympien : il fit construire un bateau spécial pour la transporter à Rome. Mais la veille du jour où le bateau devait être lancé, il fut frappé par la foudre. C’est du moins ce qu’on nous raconta : je crois, pour moi, que l’équipage superstitieux y avait mis le feu exprès. Quoi qu’il en soit, Caligula nous annonça que Jupiter Capitolin, se repentant de leur querelle, lui demandait de revenir habiter près de lui. Pour lui, il avait pour ainsi dire achevé son nouveau temple, mais puisque Jupiter Capitolin lui faisait d’aussi humbles excuses, il ferait un compromis, et bâtirait un pont sur la vallée pour réunir les deux collines. Ainsi fut fait : le pont passait au-dessus du toit du temple d’Auguste.
À présent Caligula était officiellement Jupiter. Non seulement Jupiter Latin, mais Jupiter Olympien, et aussi tous les autres dieux et déesses auxquels il avait ôté, puis rendu une tête. Tantôt il était Apollon, tantôt Mercure, tantôt Pluton, chaque fois revêtu du costume approprié et exigeant les sacrifices rituels. Je l’ai vu se promener en Vénus, le visage fardé, le buste rembourré, affublé d’une perruque rousse, d’une longue robe de gaze de soie et de souliers à hauts talons. Chose particulièrement scandaleuse, il assista en décembre aux fêtes de la Bonne Déesse. Mars était également un de ses favoris. Mais la plupart du temps il était Jupiter : il portait une couronne d’olivier, une barbe en fils d’or fin, un manteau de soie d’un bleu vif, et tenait à la main un morceau d’électrum ébréché qui représentait la foudre.
Un jour, vêtu en Jupiter, il se tenait à la tribune de la place du Marché et haranguait la foule. « J’ai l’intention, annonçait-il, de me construire une ville au sommet des Alpes. Nous autres dieux, nous préférons les sommets aux vallées. Du haut des Alpes, j’embrasserai tout mon Empire : France, Italie, Suisse, Tyrol, Allemagne. Si je vois la trahison couver quelque part, je donnerai un coup de tonnerre – comme ceci (il poussa un grognement). Si on néglige l’avertissement, je foudroierai le traître – comme ceci (il lança de toutes ses forces son morceau de foudre dans la foule : elle heurta une statue et rebondit sans faire de dégâts). » Un étranger, un cordonnier de Marseille qui visitait Rome en touriste, éclata de rire. Caligula le fit arrêter et amener près de la tribune, puis, se penchant, lui demanda en fronçant le sourcil :
— Qui penses-tu que je sois ?
— Un gros farceur, dit le cordonnier.
Caligula resta ébahi. « Farceur ? répéta-t-il. Moi, un farceur ?
— Oui, dit l’homme. Je ne suis qu’un pauvre cordonnier français, et c’est la première fois que je viens à Rome. Mais si quelqu’un chez moi faisait ce que tu fais, ce serait un gros farceur. »
Caligula se mit à rire à son tour. « Pauvre niais, dit-il, naturellement c’en serait un. C’est justement ce qui fait la différence. »
Les gens riaient comme des fous, mais on ne savait pas si c’était du cordonnier ou de Caligula. Quelque temps après il se fit faire une machine à tonnerre. Quand il allumait une fusée, la machine grondait, lançait des éclairs, et projetait des pierres comme une catapulte dans la direction qu’il voulait. Mais je tiens de source certaine que lorsqu’il y avait un vrai orage pendant la nuit, il se cachait sous son lit. À ce sujet on raconte une bonne histoire. Un jour, un orage éclata pendant qu’il se pavanait, habillé en Vénus. Il se mit à crier : « Père, père, épargne ta jolie fille ! »
L’argent qu’il avait rapporté de France s’épuisa vite et il inventa de nouveaux moyens d’augmenter le revenu. Sa méthode favorite consistait à examiner juridiquement le testament des gens qui venaient de mourir sans rien lui laisser. Il rappelait les bienfaits reçus de lui par le testateur et déclarait que celui-ci, en rédigeant son testament, avait fait preuve soit de déraison, soit d’ingratitude : entre les deux il préférait croire à la déraison. Il annulait alors le testament et
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