Moi, Claude
choses.
— Mais je bégaie. Ma langue est une Claude, elle aussi.
— Peut-être est-ce nerveux. Tu ne connais pas beaucoup de filles, n’est-ce pas ?
— Non, dis-je, et tu es la première qui ne se soit pas moquée de moi. Ne pourrions-nous pas nous voir de temps en temps, Camille ? Tu ne peux pas m’apprendre à courir, mais moi je peux t’apprendre le grec. Est-ce que cela te ferait plaisir ?
— Oh ! oui ! Tu m’apprendras dans des livres amusants ?
— Dans ceux que tu voudras. Aimes-tu l’histoire ?
— J’aime mieux la poésie : il y a dans l’histoire trop de noms et de dates à retenir. Ma sœur aînée adore les vers d’amour de Parthénius. Les as-tu lus ?
— Quelques-uns, mais je ne les aime pas. C’est si artificiel, j’aime les livres « vrais ».
— Moi aussi. Mais y a-t-il des vers d’amour grecs qui ne soient pas artificiels ?
— Il y a Théocrite. Je l’aime beaucoup. Dis à ta tante de t’amener demain : j’apporterai Théocrite et nous commencerons tout de suite.
— Tu promets que ce n’est pas ennuyeux ?
— Non, c’est très bien.
Nous nous rencontrâmes au jardin presque tous les jours. Nous nous asseyions à l’ombre pour lire Théocrite et pour causer. Je fis promettre à Sulpicius de n’en rien dire, de peur que Livie ne l’apprît et ne m’empêchât d’y aller. Camille me dit un jour que j’étais le plus gentil garçon de sa connaissance et qu’elle me préférait à tous les amis de ses frères. Alors je lui dis combien elle me plaisait : elle en fut très contente et nous nous embrassâmes timidement. Elle me demanda si nous avions des chances de nous marier un jour. Son grand-père ne demandait qu’à lui faire plaisir : elle l’amènerait un après-midi au jardin et me présenterait à lui – mais que dirait mon père ? Quand je lui dis que je n’avais pas de père et que tout dépendait d’Auguste et de Livie, elle se consola. Jusqu’alors nous n’avions pas beaucoup parlé de nos familles. Elle n’avait jamais entendu dire que du mal de Livie : mais je lui dis que celle-ci donnerait peut-être son consentement, car elle avait tellement horreur de moi qu’elle ne se souciait guère de ce que je faisais, à condition que cela ne rejaillît pas sur elle.
Médullinus était un digne vieillard, quelque peu historien lui-même, ce qui facilita nos rapports. Il avait eu autrefois mon père sous ses ordres et me conta sur lui beaucoup d’anecdotes que je notai avec reconnaissance pour servir à ma biographie. Un jour, en parlant de Camillus, l’ancêtre de Camille, il me demanda laquelle de ses actions j’admirais le plus. « C’est, répondis-je, la façon dont il traita le maître d’école de Phalère qui amenait jusque sous les murs de Rome les enfants confiés à sa charge, en lui disant que les Phalériotes accepteraient n’importe quelles conditions pour les ravoir. Non seulement il dédaigna son offre, mais il fit dépouiller le traître de ses vêtements, lui attacha les mains derrière le dos et donna des verges aux enfants pour le reconduire à grands coups jusqu’à Phalère. N’est-ce pas magnifique ? » En lisant cette histoire j’imaginais Caton à la place du maître d’école, Postumus et moi à celle des enfants, de sorte que mon enthousiasme pour Camillus n’était peut-être pas absolument désintéressé. Mais cela fit plaisir à Médullinus.
Germanicus, à qui j’avais parlé de mon amour pour Camille, donna volontiers son consentement à notre mariage. Mon oncle Tibère n’y fit pas d’objection : quant à Livie, elle cacha sa colère comme à l’ordinaire et félicita Auguste d’avoir pris si adroitement Médullinus au mot. « Il devait être ivre », disait-elle, pour avoir consenti au mariage. Mais après tout la dot était mince et l’honneur de cette alliance considérable pour lui.
Germanicus me dit que tout était arrangé et que les fiançailles auraient lieu au premier jour favorable. Nous autres Romains, nous sommes très superstitieux quant aux jours : personne ne songerait, par exemple, à livrer bataille, à se marier ou à acheter une maison le 16 juillet, anniversaire du désastre d’Allia. Je pouvais à peine croire à mon bonheur. J’avais craint qu’on ne me fît épouser Émilie, une poseuse au mauvais caractère qui imitait ma sœur Livilla en se moquant de moi toutes les fois qu’elle venait nous rendre visite, c’est-à-dire souvent.
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