Moi, Claude
torrentiels éclatèrent et le peu de blé qu’on avait fut perdu. L’inondation fut si violente que le Tibre emporta le pont : pendant sept jours on circula en bateau dans les bas quartiers de la ville. La famine menaçait : l’année précédente n’avait pas été bonne non plus et les greniers publics étaient vides. Auguste envoya en Égypte acheter de grandes quantités de blé. Mais on n’en trouvait pas assez et il fallait le payer cher. L’hiver fut d’autant plus dur que Rome regorgeait de monde : en vingt ans la population avait doublé. Le port d’Ostie était dangereux pendant l’hiver et les navires de blé attendaient des semaines avant qu’on pût les décharger.
Auguste s’employa de son mieux à limiter la famine. Il fit sortir de la ville tous les habitants, à l’exception des propriétaires et de leurs familles, interdit tous les banquets, même le jour de son anniversaire, et nomma une Commission des Restrictions composée d’anciens consuls. Du grain fut importé à ses frais et distribué aux pauvres. Mais comme toujours la famine amena le désordre, et le désordre l’incendie. Des pillards à demi affamés mirent le feu pendant la nuit à des rues entières. On venait de voter un nouvel impôt pour subvenir aux dépenses des guerres d’Allemagne : entre la famine, l’incendie et l’impôt le parti populaire commença à s’agiter. On parla ouvertement de révolution. Des manifestes menaçants furent cloués pendant la nuit sur la porte des bâtiments publics. On raconta qu’une conspiration énorme se tramait : le Sénat promit une récompense pour toute information qui conduirait à l’arrestation d’un meneur. Beaucoup de gens cherchaient à la gagner en accusant leurs voisins et la confusion ne faisait qu’empirer. Sans doute n’y avait-il pas de conspiration du tout – seulement des bavardages. Enfin le blé commença à arriver d’Égypte, où la moisson est plus précoce que la nôtre, et l’atmosphère se détendit.
Parmi ceux qu’on avait fait sortir de Rome pendant la famine se trouvaient les gladiateurs. Ils n’étaient pas nombreux, mais Auguste craignait qu’en cas de trouble ils ne devinssent un danger pour la ville. Ils formaient une bande sans foi ni loi : quelques-uns étaient des jeunes gens de bonne famille, vendus comme esclaves pour dettes et à qui l’acheteur permettait de gagner dans l’arène le prix de leur liberté. En général, quand un jeune patricien faisait des dettes, sa famille ou même Auguste intervenaient à temps pour lui éviter l’esclavage : ces gladiateurs nobles étaient donc ceux dont personne n’avait jugé qu’ils valussent la peine d’être arrachés à leur sort. Ils devenaient tout naturellement les meneurs de la corporation, et on pouvait toujours craindre de les trouver à la tête d’une révolte armée.
Quand la situation s’améliora, on les rappela à Rome et pour rétablir la bonne humeur générale il fut décidé que Germanicus et moi donnerions de grands jeux à la mémoire de notre père. Livie désirait réveiller le souvenir de ses exploits pour attirer l’attention sur Germanicus, qui lui ressemblait beaucoup et qu’on devait bientôt envoyer en Allemagne seconder son oncle Tibère. Ma mère et Livie contribuèrent aux frais, mais la plus grosse dépense retomba sur nous deux : on trouva d’ailleurs que mon frère, étant donné sa situation, avait plus besoin d’argent que moi et ma mère m’expliqua que je devais payer double. J’étais trop heureux de rendre service à Germanicus. Mais quand je sus à combien s’élevait le total je restai abasourdi : on avait tout organisé sans tenir compte de la dépense : outre les frais ordinaires d’un combat, nous avions jeté des pluies d’argent à la populace.
Germanicus et moi, par décret spécial du Sénat, nous rendîmes à l’amphithéâtre dans le char de guerre de notre père. Nous venions d’offrir un sacrifice à sa mémoire sur le grand tombeau qu’Auguste s’était fait construire et où il avait fait déposer les cendres de mon père et celles de Marcellus. Nous descendîmes la Voie Appienne, passâmes sous l’Arc de triomphe de mon père dont la colossale statue équestre était couronnée de lauriers pour la circonstance. Le vent soufflait du nord-est et les médecins ne m’avaient pas permis de sortir sans manteau : j’étais le seul de toute l’assistance à en porter un, à l’exception
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