Moi, Claude
d’Auguste. Celui-ci, très sensible à la chaleur et au froid, ne portait pas en hiver moins de quatre manteaux, sans compter une robe très épaisse et un long gilet. Quelques personnes virent un présage dans cette similitude de mon costume et du sien : on remarqua aussi que j’étais né le premier jour du mois qui porte son nom, et à Lyon, le jour même où il y consacrait son propre autel. Du moins, bien des années plus tard, les gens affirmèrent qu’ils avaient fait cette remarque. Livie, comme mère de mon père, se trouvait aussi dans notre loge. En général, elle prenait place parmi les Vestales : la coutume voulait qu’on séparât les femmes des hommes.
C’était le premier combat de gladiateurs auquel on m’eût permis d’assister, et je n’en étais que plus embarrassé de me trouver dans la loge présidentielle. Germanicus s’acquitta de ses fonctions avec beaucoup de dignité, en faisant semblant de me consulter quand c’était nécessaire. J’eus la chance de tomber sur le meilleur combat qu’on eût jamais donné à l’amphithéâtre : je n’étais guère capable de l’apprécier, n’en ayant jamais vu d’autre, mais je n’en ai pas trouvé de meilleur depuis, bien que j’en aie suivi près de mille. Livie, qui soignait la popularité de Germanicus, avait engagé à prix d’or les meilleures épées de Rome. En général les gladiateurs professionnels avaient grand soin de ne pas se blesser et s’escrimaient en parades d’apparence homérique, mais parfaitement inoffensives au fond, comme les coups de bâton que se donnent les esclaves dans les comédies populaires. Ils ne devenaient intéressants que lorsqu’ils se fâchaient ou avaient à vider entre eux une vieille querelle. Mais cette fois Livie avertit les chefs de la corporation qu’elle en voulait pour son argent. Si tous les assauts n’étaient pas sérieux, la corporation serait dissoute. On avait eu l’été précédent trop de combats arrangés d’avance. Les gladiateurs furent prévenus qu’il ne s’agissait plus de jouer au furet cette fois-ci, sous peine de renvoi.
Au cours des six premiers combats un homme fut tué, un autre si grièvement blessé qu’il mourut le jour même ; un troisième eut le bras gauche coupé d’un seul coup près de l’épaule, ce qui souleva des tonnerres de rires. Dans chacun des trois suivants un des adversaires désarma l’autre, mais le vaincu s’était si bien battu que Germanicus et moi, levant le pouce, traduisîmes le sentiment général en lui laissant la vie. La règle du combat voulait que les antagonistes eussent des armes différentes : épée contre lance, épée contre hache de combat, ou lance contre masse d’armes. Au septième combat, un des adversaires portait une épée d’ordonnance et un bouclier rond cerclé de cuivre, l’autre, un trident à truites et un court filet. L’homme à l’épée, ou « poursuivant », était un soldat de la Garde récemment condamné à mort pour s’être enivré et avoir frappé son capitaine : la sentence avait été commuée en combat avec l’homme au trident. Celui-ci, un professionnel de Thessalie, touchait des cachets très élevés : il avait tué plus de vingt adversaires en cinq ans, me dit Germanicus.
Je faisais des vœux pour le soldat, qui entra dans l’arène pâle et tremblant – il était en prison depuis plusieurs jours et la grande lumière l’éblouissait. Sa compagnie tout entière prenait son parti, car le capitaine qu’il avait frappé était un tyran et une brute. Ses camarades lui crièrent d’une seule voix de défendre l’honneur de la compagnie. Il se redressa et cria : « Je ferai de mon mieux, camarades ! » La foule découvrit alors qu’au camp on le surnommait « le Gardon », et cela suffit à mettre de son côté la plus grande partie de l’assistance, malgré l’impopularité des Gardes. Si le gardon tuait le pêcheur, ce serait une bonne plaisanterie !
Sentir qu’on a l’amphithéâtre pour soi, c’est la moitié du combat pour un homme qui défend sa vie. Le Thessalien, un homme souple, aux longs bras et aux longues jambes, entra en se pavanant dans l’arène, vêtu seulement d’une tunique de cuir et d’une calotte ronde et dure, également en cuir. Il était de bonne humeur et plaisantait avec les premiers rangs : son adversaire n’était qu’un amateur : pour lui, Livie lui payait son après-midi mille pièces d’or, plus cinq cents
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