Moi, Claude
s’il tuait son homme. Ils s’avancèrent ensemble devant notre loge et saluèrent d’abord Auguste et Livie, puis Germanicus et moi, selon la formule habituelle : « Salut, seigneurs. De l’ombre de la mort, salut ! » Nous répondîmes par un geste convenu, mais Germanicus dit à Auguste : « Ah ! seigneur, ce poursuivant est un des vieux soldats de mon père ! Je le reconnais bien : il a gagné une couronne en Germanie pour avoir franchi le premier un rempart ennemi. – Très bien, dit Auguste, nous aurons donc un beau combat. Mais en ce cas l’homme au filet a dix ans de moins que lui, et à ce jeu les années comptent. » Germanicus fit signe aux trompettes de sonner et le combat commença.
Le Gardon restait sur place pendant que le Thessalien dansait autour de lui. Il n’était pas assez sot pour gaspiller ses forces à poursuivre un adversaire légèrement armé ou pour risquer d’être paralysé par son filet. Le Thessalien essaya de l’exciter en l’insultant, mais le Gardon ne s’y laissa pas prendre. Une seule fois il prit l’offensive, l’adversaire s’étant approché à portée de son bras : la rapidité de son coup arracha à l’assistance un cri d’enthousiasme, mais l’autre s’écarta à temps. Bientôt le combat s’anima : le Thessalien dardait son long trident : le Gardon parait adroitement les coups, sans quitter de l’œil le filet, chargé de petites boules de plomb, que le Thessalien manœuvrait de la main gauche.
— Beau travail ! dit Livie à Auguste. C’est le meilleur rétiaire de Rome. Il joue avec le soldat. Tu as vu ? Il aurait pu l’abattre maintenant s’il avait voulu. Mais il fait durer le combat.
— Oui, dit Auguste. Je crois que le soldat est fini. Il n’aurait pas dû boire.
Auguste avait à peine fini de parler quand le Gardon écarta d’un coup le trident et bondit, déchirant la tunique de cuir du Thessalien de la taille à l’épaule.
L’homme sauta en arrière et jeta le filet au visage du Gardon. Par malheur une des boules de plomb frappa celui-ci à l’œil : il ralentit ; le rétiaire, voyant son avantage, se retourna et fit voler l’épée de la main du soldat. Le Gardon s’élança pour la reprendre, mais le Thessalien arriva le premier, courut à la barrière et jeta l’épée à un riche amateur assis au premier rang des chevaliers. Puis il revint à l’agréable tâche d’achever un adversaire désarmé. Le filet sifflait autour de la tête du Gardon, le trident le piquait çà et là, mais il n’avait pas encore perdu courage. Une fois il se jeta sur le trident et faillit s’en saisir. Le Thessalien l’avait amené pas à pas devant notre loge pour nous donner le spectacle d’une belle mise à mort.
— Cela suffit, dit Livie d’une voix sèche. Il s’est assez amusé : qu’il l’achève.
Le Thessalien n’avait pas besoin d’encouragement. D’un seul geste il enveloppa le Gardon de son filet et leva le trident pour lui percer le ventre. Soudain la foule poussa un grand cri. Le Gardon avait saisi le filet de la main droite, et, se rejetant en arrière, donné un formidable coup de pied dans le manche du trident. L’arme vola au-dessus de la tête du Thessalien et se ficha frémissante dans la palissade. L’homme resta stupide un instant, puis, laissant le filet aux mains du Gardon, s’élança pour reprendre le trident. Mais le Gardon, se jetant en avant, lui assena dans les côtes la bosse pointue de son bouclier. Puis comme le Thessalien, le souffle coupé, tombait à quatre pattes, il lui abattit le bouclier sur la nuque.
— Le coup du lapin ! dit Auguste. Je n’avais jamais vu cela dans l’arène – et toi, chère Livie ? Il l’a tué, je parie.
Le Thessalien était mort. Je pensais voir Livie fort mécontente, mais elle dit seulement : « Bien fait pour lui. Voilà ce que c’est que de sous-estimer son adversaire. Le rétiaire m’a déçue, je l’avoue. Mais je ne peux guère me plaindre puisque j’y gagne cinq cents pièces d’or. »
Pour couronner l’après-midi nous eûmes un combat entre deux otages germains qui appartenaient à des clans rivaux et s’étaient de leur plein gré défiés en un duel à mort. Ce ne fut pas un joli combat, mais une mêlée sauvage à l’épée et à la hallebarde. L’un des combattants, un géant blond de plus de six pieds de haut, hacha littéralement l’autre en morceaux avant de l’abattre dur coup formidable sur le côté
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