Moi, Claude
mon petit-fils. Ce que tu as entendu est sans aucun doute un morceau appris par cœur. Le sujet choisi est des plus courants : Athénodore a bien pu lui seriner mot à mot une douzaine de déclamations modèles du même genre. Je ne dis pas que cela ne me fasse plaisir de voir Claude si facile à dresser : nous pourrons par exemple lui faire répéter de la sorte sa cérémonie de mariage. Mais ton idée de le faire souper avec nous est ridicule. Je me refuse à manger dans la même pièce que ce garçon : j’en aurais une indigestion.
« Pour ce qu’on dit de son intelligence, regarde les choses de près. Germanicus a juré à son père mourant d’aimer et de défendre son frère : il a trop de noblesse de cœur pour trahir ce serment sacré. Athénodore et Sulpicius, eux, sont payés – et bien payés – pour trouver de l’esprit à Claude : leurs fonctions leur donnent une excuse pour traîner dans le palais et se donner des airs de conseillers privés. Reste Postumus – mais voici plusieurs mois que je me plains de lui. Il adore discuter avec ses supérieurs, pour le simple plaisir de nous exaspérer : le fait d’être maintenant ton unique petit-fils lui donne de l’importance. Son attitude envers Claude est un exemple. L’autre jour il a été positivement insolent envers moi : je disais que Sulpicius perdait son temps à instruire ce garçon : Postumus a répliqué qu’à son avis Claude avait plus de jugement que la plupart de ses proches – moi comprise, je suppose. Mais le cas de Postumus est un autre problème. Pour le moment nous parlons de Claude, et je te répète que je ne peux pas dîner en sa compagnie, pour des raisons d’ordre physique que je te crois capable d’apprécier. »
Un an plus tard, Auguste écrivait à Livie, à la campagne pour quelques jours :
«… Quant au jeune Claude, je profiterai de ton absence pour l’inviter chaque soir à souper. J’avoue que sa présence m’embarrasse encore, mais je ne crois pas bon pour lui de souper toujours seul avec Sulpicius et Athénodore. Leurs conversations sont trop purement livresques, et si braves gens qu’ils soient tous deux ce ne sont pas les compagnons rêvés pour un garçon de son âge et de son rang. Je voudrais lui voir choisir quelque jeune homme bien né sur lequel il pût modeler sa tenue et sa conduite. Sa timidité et sa réserve l’en empêchent. Il adore notre cher Germanicus, mais il sent trop vivement sa propre infériorité pour se risquer jamais à l’imiter – j’irais tout aussi bien m’habiller d’une peau de lion, brandir une massue et me figurer que je suis Hercule. Pauvre garçon ! il est bien à plaindre, car dans les questions d’importance, quand son esprit ne bat pas la campagne, on s’aperçoit de la noblesse de son cœur… »
Une troisième lettre, écrite peu après mon mariage, au moment où je venais d’être nommé prêtre de Mars, a aussi son intérêt :
« Ma chère Livie,
« Selon ton conseil j’ai discuté avec Tibère ce que nous pourrions faire du jeune Claude. Maintenant que le voici majeur et prêtre de Mars, nous ne pouvons remettre indéfiniment notre décision touchant à son avenir. Je le crois suffisamment sain de corps et d’esprit – sans quoi je ne l’aurais pas, en adoptant à la fois Tibère et Germanicus, laissé chef de la branche aînée des Claudes. Mais dans ce cas il faut le prendre en main et lui donner les mêmes chances qu’à Germanicus. Au contraire, si nous admettons que ses infirmités corporelles sont liées à une infirmité mentale définitive, nous ne devons pas donner aux gens malintentionnés l’occasion de rire de lui et de nous. Je le répète, il faut nous décider rapidement et une fois pour toutes.
La question la plus urgente est celle-ci : que ferons-nous de lui pendant les Jeux qui se préparent en l’honneur de Mars ? Je pense qu’on peut fort bien lui laisser la table des prêtres, en lui recommandant de ne faire que ce qu’on lui dira et de s’en remettre en tout à son beau-frère, le jeune Plautius Silvanus. De cette manière il pourra apprendre beaucoup de choses. Naturellement il n’est pas question de le placer avec moi dans la loge présidentielle, à côté de la statue sacrée sur laquelle toute l’assistance a constamment les yeux fixés. Ses bizarreries ne manqueraient pas d’attirer les commentaires.
« Tu peux montrer cette lettre à Antonia si tu le désires :
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