Moi, Claude
révélai que l’accusation venait de sa propre fille, il resta stupéfait et refusa d’abord de me croire, puis il se fâcha. « La gouvernante d’Émilie, me dit-il, ne les a pas quittés un seul instant. » Il voulait aller trouver sa fille pour lui demander si l’histoire était vraie, et pourquoi, en ce cas, c’était la première fois qu’il en entendait parler. Je l’arrêtai en lui rappelant sa promesse : je n’avais pas confiance en Émilie. Mieux valait, dis-je, interroger la gouvernante, mais de manière à ne pas donner l’éveil. Il fit donc appeler celle-ci et lui demanda de quoi avaient parlé Postumus et Émilie pendant qu’on cherchait les voleurs, la dernière fois que Postumus avait dîné chez eux. Elle resta d’abord perplexe. « N’était-ce pas d’arbres fruitiers ? lui demandai-je. – Ah ! oui, c’est vrai, des insectes qui s’attaquent à ces arbres. » Émilius lui demanda s’ils avaient parlé d’autre chose : elle répondit qu’elle ne le croyait pas. Elle se souvenait que Postumus avait exposé une méthode grecque nouvelle pour combattre l’insecte appelé « le noir », ce qui l’avait extrêmement intéressée parce qu’elle s’y connaissait en jardins. Elle assura qu’elle n’avait pas quitté la pièce un instant. J’allai ensuite voir Castor et lui parlai incidemment de Postumus. Tu te souviens que les biens de celui-ci ont été confisqués et vendus pendant que j’étais en Dalmatie et que le produit de la vente a été versé au trésor de l’armée ? Je demandai à Castor ce qu’étaient devenues certaines pièces d’argenterie que Postumus m’avait empruntées à l’occasion d’un banquet : il m’expliqua comment m’y prendre pour les retrouver. Puis nous causâmes de l’exil de Postumus. Castor parlait très franchement : je suis tout à fait sûr, quant à moi, qu’il n’a pas trempé dans le complot.
— Tu admets donc maintenant qu’il y a eu complot ? lui demandai-je vivement.
— Je crains que ce ne soit la seule explication possible. Mais Castor lui-même est innocent, j’en suis convaincu. Il m’a dit, sans que je le lui demande, que le soir, au jardin, Livilla l’avait poussé à taquiner Postumus, comme celui-ci te l’a raconté. Castor, en tant que mari, était un peu agacé des yeux doux que faisait Postumus à sa femme. Il reconnaît que ses taquineries n’étaient peut-être pas du meilleur goût, mais la tentative de viol de Postumus sur Livilla et les graves blessures que ce fou lui a faites à lui-même lui ont ôté toute velléité de s’en repentir.
— Il a cru que Postumus avait voulu outrager Livilla ?
— Oui, et je ne l’ai pas détrompé. Je ne veux pas que Livilla se doute de nos soupçons à tous deux. Si elle s’en doutait, elle en parlerait à Livie.
— Germanicus, tu crois maintenant que c’est Livie qui a tout fait ? »
Il ne répondit pas.
— Tu iras trouver Auguste ?
— Je t’ai donné ma parole. Je la tiens toujours.
— Quand iras-tu ?
— Tout de suite.
Ce qui s’est passé à cette entrevue, je ne le sais pas et ne le saurai jamais. Mais ce soir-là, à dîner, Germanicus semblait plus heureux : la façon dont il éluda ensuite mes questions me fit comprendre qu’Auguste lui avait demandé le secret. Je n’appris ce que je vais raconter maintenant que beaucoup plus tard. Auguste écrivit aux Corses, qui se plaignaient depuis plusieurs années d’incursions de pirates sur leurs côtes, qu’il viendrait bientôt en personne faire une enquête : en chemin il s’arrêterait à Marseille, où il voulait consacrer un temple. Peu après il se mit en route, mais il s’arrêta deux jours à l’île d’Elbe. Le premier jour il donna l’ordre de remplacer la garde de Postumus à Planasie par un détachement entièrement nouveau. Le même soir il s’embarqua secrètement pour l’île dans une barque de pêcheurs : il n’emmenait que Fabius Maximus, un ami intime, et un certain Clément, ancien esclave de Postumus, qui ressemblait d’une façon extraordinaire à son ancien maître. On m’a dit que ce Clément était un fils naturel d’Agrippa. Ils eurent la bonne fortune de rencontrer Postumus à leur débarquement : celui-ci, qui posait des lignes de fond, avait aperçu de loin la voile de leur barque au clair de lune. Il était seul. Auguste se montra et lui tendit la main en s’écriant : « Pardonne-moi, mon fils ! » Postumus prit
Weitere Kostenlose Bücher